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HENRI II.

nétable de Montmorenci, Catherine de Médicis, l’Aubespine et quelques autres personnes de la plus haute importance. D’où pourrait venir qu’il eût négligé les intérêts de sa gloire, et ceux de sa bourse [1], jusqu’à un tel point ? On a vu dans la remarque précédente ce que Gauric promettait à Henri II, l’an 1556 : voyons ce qu’il lui avait prédit quatre années auparavant : Inclytissimus Gallorum Rex, c’est ce qu’il a mis au bas de la figure de nativité de ce monarque, dans l’édition de Venise, 1552, chez Curtius Troianus Navò : Henricus Christianissimus erit regum quorumdam imperator, ante supremos cineres ad rerum culmina perveniet, fœlicissimamque ac viridem senectam ; uti colligitur ex sole, venere, et lunâ horoscopantibus, et potissimùm, sole in suo trono partiliter supputato. In civitatibus Arieti subjectis maximum sortietur dominium, si fortè superaverit sue ætatis annos 56, 63, 64, ad annos 69 menses 10 dies 12 facili ac fœlici tramite perducetur [2].

(Y) On conte des choses assez remarquables, touchant les mères de ses deux enfans naturels. ] Lisez ce qui suit : c’est Brantôme qui parle [3]. Henri II qui étoit d’assez amoureuse complexion, quand il alloit voir les dames, il alloit le plus caché et le plus couvert qu’il pouvoit, afin qu’elles fussent hors de soupçon et d’infamie : et s’il en avoit aucunes qui fussent descouvertes, ce n’estoit pas sa faute, ny de son consentement, mais plustost de la dame, comme une que j’ay ouy dire de bonne maison, nommée madame Flamin d’Escosse, laquelle ayant esté enceinte du fait du roy, elle n’en faisoit point la petite bouche, mais tout hardiment disoit en son escossement françois, j’ay fait tant que j’ay pu, qu’à la bonne heure je suis enceinte du roy, dont je me sens très-honorée, et très-heureuse, et si je veux dire que le sang royal a je ne sçay quoi de plus suave et friande liqueur que l’autre, tant je m’en trouve bien, sans conter les bons brins de présens que l’on en tire. Son fils qu’elle en eut alors fut le feu grand-prieur de France, qui fut tué dernierement à Marseille [4], ce qui fut un très-grand dommage ; car il estoit un très-honeste, brave et vaillant seigneur. Ce que j’ai à dire de l’autre maîtresse est une singularité d’une autre nature. Le dauphin, depuis roi Henri II, étant devenu amoureux d’une demoiselle de Cony en Piémont [5], au voyage qu’il y fit avec le connétable de Montmorency, ses gens mirent le feu de nuit en sa maison, et le péril en permettant l’accès a tout le monde, ils y accoururent en grand nombre, criant salva la donna, et l’ayant prise la menèrent au dauphin [6]. Il en eut une fille nommée Diane, qui épousa en premières noces Horace Farnèse duc de Castro, et en secondes, François duc de Montmorency, fils aîné du connétable. Le second mariage commença le 5 de mai 1557 [7], et finit par la mort du mari, le 6 de mai 1579 [8]. Le fils unique qui en sortit décéda avant son père. La veuve vécut jusques au 3 de janvier 1619. Elle avait alors plus de quatre-vingts ans. Elle moyenna un accord entre Henri III et Henri IV, et eut une amitié tendre pour Charles de Valois, son neveu, fils naturel du roi Charles IX. Elle lui sauva la vie, lorsqu’Henri IV le voulait envelopper dans la cause du duc de Biron : elle représenta à ce prince, qu’il avait trop d’intérêt à rendre sacrées et inviolables les têtes des enfans naturels des rois, pour éviter soigneusement d’établir contre

  1. On l’eût payé bien plus largement de ses prédictions, si l’on eût su qu’il avait trouvé par l’astrologie, qu’un roi de France serait tué dans un duel.
  2. Lucas Gauricus, in Tractatu astrologico in quo agitur de præteritis multorum hominum accidentibus per proprias corum genituras ad unguem examinatis, folio 42 verso.
  3. Mémoires des Dames galantes, tom. II, pag. 372.
  4. Le père Anselme, Histoire généalogique de la Maison de France, pag. 144, dit qu’il était né de N.... de Léviston, damoiselle écossaise, et qu’il fut tué, à Aix en Provence, par Philippe Altoviti, baron de Castellanes, le deuxième jour de juin 1586.
  5. Le père Anselme, là même, dit qu’elle s’appelait Philippe-des-Ducs, et qu’elle vivait encore le 1er. de juillet 1552 et ne se fit pas religieuse, comme a cru Pierre Matthieu.
  6. Le Laboureur, Additions aux Mémoires de Castelnau, tom. II, pag. 447.
  7. Anselme, Histoire généalogique de la maison de France, pag. 144.
  8. Le Laboureur, Additions aux Mémoires de Castelnau, tom. II, pag. 418.