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HENRI II.

depuis la journée de Saint-Quentin, voulait recouvrer sa liberté à quelque prix que ce fût. Les Guises profitaient trop de son absence. Voilà pourquoi il négocia un traité de paix où il accorda aux Espagnols tout ce qu’ils voulurent ; et il connaissait tellement le faible du roi son maître, qu’il lui persuada aisément de consentir à ce traité. Le duc de Guise eut beau se servir de mille raisons démonstratives [1], pour faire rejeter une paix qui sacrifiait aux Espagnols la gloire du nom français, et plus de places en un jour qu’ils n’eussent pu en conquérir dans un siècle, le roi fut sourd à tout cela. Il faut rapporter ici une observation de Brantôme [2] : il prétend que Henri II, las et dégoûté de l’insolence de messieurs de Guise, les voulut renvoyer chez eux ; mais pour cela il eut besoin de recouvrer son connétable, et de terminer la guerre : il lui manda donc, et au maréchal de Saint-André [3], de moyenner une paix ; ce qu’ils firent à notre désavantage. N’oublions pas l’autre machine : ces deux prisonniers, et la duchesse de Valentinois, s’enrichissaient de la dépouille des hérétiques ; qui doute que pour obtenir la paix ils n’aient fait accepter toutes sortes de conditions, afin de vasquer tout à leur aise aux affaires de l’inquisition ? Il est certain [4] que les cabales de cette duchesse, secondées par le connétable, entraînèrent le roi dans ce précipice.

(P) C’était fait des réformés dans la France, si François II eût vécu encore deux ans. ] C’est le sentiment de Théodore de Bèze ; car ayant étalé toutes les raisons qui leur promettaient un meilleur temps après la mort de Henri, il ajoute [5] : Mais Dieu en avait disposé tout autrement, voulant avoir l’honneur qui lui appartient d’avoir redressé son église par son seul bras et effort, d’autant plus admirable que la résistance des plus grands aurait été plus forcenée. Ce fut donc durant le règne de François II, successeur de Henri, que la rage de Satan se déborda à toute outrance : de sorte qu’il se peut dire de ce règne, n’ayant duré que dix-sept mois, ce que dit Jésus-Christ en saint Matthieu, à savoir que si ces jours-là n’eussent été abrégés, personne ne serait échappé, mais qu’à cause des élus ils ont été abrégés. Le détail des mesures que l’on avait prises pour ruiner entièrement le parti, se voit en très-peu de pages dans M. Maimbourg [6]. Prenez garde aux paroles qu’il met en tête de ce détail [7].

(Q)..…. On les accuse d’avoir témoigné leur joie d’une façon trop insultante sur la fin tragique de Henri. ] J’ai déjà cité [8] sur cela M. Maimbourg ; et voici les paroles de Mézerai [9]. « Comme ce prince avait eu une grande bonté, il fut pleuré de tous ses peuples, hormis des nouveaux sectaires, qui croyaient que sa mort serait leur liberté et leur accroissement. Ils en eurent tant de joie qu’ils en firent des chansons et des actions de grâces à Dieu, ou plutôt des blasphèmes, osant dire que le Tout-Puissant l’avait frappé sous les murailles de la Bastille, où il tenait les innocens en prison. Il ne faut pas trouver étrange que dans un grand nombre de gens il se rencontre quelques indiscrets ; mais c’est une chose très-louable que l’historien des églises réformées ait gardé la modération que l’on va voir : Ne restoit rien en apparence, sinon un très-horrible spectacle d’extreme desolation, quand le Seigneur y pourveut. Car le roy Henry au plus fort de ses triomphes de la paix joints avec le mariage.... courant en lice... fut atteint d’un contrecoup d’une lance... et mourut le 10e. jour de

  1. Mézerai les rapporte amplement. Voyez ci-dessus la remarque (C), entre les citations (8) et (9).
  2. Éloge de Henri II, tom. II, pag. 52.
  3. Il était prisonnier tout comme le connétable.
  4. Voyez Belcarius, lib. XXVIII, num. 17 et seq.
  5. Histoire ecclésiastique des Églises réformées, liv. III, pag. 212.
  6. Histoire du Calvinisme, liv. II, pag. 157, 158, 159.
  7. Toutes les choses se trouvaient alors, (c’est-à-dire, lorsque François II mourut), tellement disposées pour la ruine entière du calvinisme, en France, qu’elle semblait être absolument inévitable. Là même, pag. 157.
  8. Dans la remarque (D).
  9. Histoire de France, tom. II, pag. 1139.