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HOTMAN.

ce mauvais exemple aux autres dans sa Franco-Gallia, et qu’il n’y eût pas falsifié l’histoire plus d’une fois, pour encenser et pour sacrifier à ses préjugés avec une complaisance trop servile. La phrase grecque de Boéclérus a beaucoup plus de force que tout cela, Εἱς τὸ δουλεύειν τῇ ὑποθέσει, etiam historiam non semel corrumpit[1]……[2]. Je ne puis m’empêcher de dire que Boéclérus maltraite beaucoup Hotman, qui encore un coup n’était pas un de ces hommes, qui à l’exemple de quelques catholiques anglais du dernier siècle, sortent de leur patrie pour la religion avec des airs menaçans, en jetant feu et flamme, en vomissant mille imprécations, en fulminant des Maranatha, en cherchant à y rentrer l’épée à la main, ou à la faveur des armées les plus exterminantes, en un mot en souhaitant un retour précédé, comme la sortie d’Égypte, de toutes les plaies de Pharaon, le passage de l’ange destructeur inclus. Hotman se contentait de porter de bons coups de plume, et de toucher à certaines choses qui ne plaisaient pas. Il est vrai que sans y penser il travaillait pour la ligue[3], et qu’il forgeait des armes pour Bellarmin : il est vrai encore que ses coups étaient semblables à ceux des Parthes[4] ; je veux dire que dans son état de fugitif il frappait mieux qu’il n’aurait fait en ne se retirant pas : mais il s’en faut bien que ses écrits ne méritent la dégradation qui doit tomber sur beaucoup d’autres éclos en pareille situation. Par exemple, les catholiques d’Angleterre ont eu beau faire des satires et des écrits violens contre la reine Élisabeth[5], ce sont tous écrits perdus, dont les gens sages ne font ni mise, ni recette présentement dans aucun parti. Quoi qu’il en soit, les apparences étaient un peu contre Hotman, au sujet du livre de Junius Brutus, et comme je l’ai déjà dit, c’était une erreur fort petite, que de le faire l’auteur ces Vindiciæ contra tyrannos. »

(I) On rétorqua contre lui ses propres maximes quelque temps après. ] C’est par accident, et par une fatalité assez ordinaire qui change les intérêts des partis, que l’ouvrage d’Hotman fut sujet à l’incommodité dont je parle. Les révolutions de France changèrent de telle sorte la scène, que les maximes des deux partis passèrent réciproquement du blanc au noir. Il fait beau entendre comment Montaigne se moque tout doucement des catholiques. Voyez, dit-il[6], l’horrible imprudence de quoi nous pelotons les raisons divines, et combien irréligieusement nous les avons rejetées et reprises, selon que la fortune nous a changés de place en ces orages publics. Cette proposition si solennelle, s’il est permis au sujet de se rebeller et armer contre son prince pour la défense de la religion, souvienne-vous en quelles bouches cette année passée l’affirmative d’icelle étoit l’arc-boutant d’un parti ; la négative, de quel autre parti c’était l’arc-boutant : et oyez à présent de quel quartier vient la voix et instruction de l’une et de l’autre, et si les armes bruient moins pour cette cause que pour celle-là. Et nous brûlons les gens qui disent qu’il faut faire souffrir à la vérité le joug de notre besoin ; et de combien fait la France pis que de le dire ! etc. Tant que le monde sera monde, il y aura partout des doctrines ambulatoires, et dépendantes des temps et des lieux ; vrais oiseaux de passage, qui sont en un pays pendant l’été, et en un autre pendant l’hiver ; et lumières errantes qui, comme les comètes des cartésiens, éclairent tour à tour divers tourbillons. Quiconque voudra là-dessus faire le censeur ne passera

  1. In Grot. de Jure Belli et Pacis, lib. I, cap. IV, pag. m. 275.
  2. Dans le Projet, pag. 92.
  3. Voyez la remarque suivante.
  4. .........Navita Bosphorum
    Pœnus perhorrescit...........
    ....................
    Miles sagittas et celerem fugam
    Parthi : catenas Parthus, et Italum
    Robur. Sed improvisa lethi
    Vis rapuit, rapietque gentes.
    Horat., od. XIII, lib. II.

  5. Voyez la remarque (K) de l’article Élisabeth, tom. VI, pag. 127.
  6. Essais, liv. II, chap. XII, pag. m. 193. Mézerai fait la même remarque dans la page 792 du Ille. tome de l’Histoire de France.