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HOTMAN.

clure de toute charge et administration publique[1]. Joignons à ce passage de M. Teissier ces judicieuses paroles de Bougars, tirées d‘une lettre à M. de Thou[2]. « Je vous confesserai librement, de Franco-Galliâ, vellem parciùs, tant pour ce que le livre n’est pas de saison, que pour ce qu’il me semble, que le bon homme s’est grandement abusé en cette dispute-là. Le doute[3] donnait quelque couverture à l’ouvrage, lorsqu’il fut imprimé la première fois : et nous laissons échapper beaucoup de paroles, en une fâcherie extrême, auxquelles nous rougirions si elles nous étaient représentées après le cours de la passion. Je vous en écris ce que j’en pense, ignorant quel jugement vous en faites ; je suis marri de ne l’avoir fait plus tôt, je n’aurais pas jeté l’œil sur ce trait-là. Je sais bien que le bon homme se plaisait de celle pièce-là, il l’avait témoigné par les impressions réitérées. C’est une maladie, de laquelle beaucoup de nos gens, et trop, sont entachés, qui eussent volontiers réduit notre monarchie à une anarchie. S’il y a du mal en une chose, ce n’est pas à dire qu’il la faille ruiner[4]. » Bongars, dira-t-on, a mis le doigt sur la plaie : Hotman était en colère contre sa patrie quand il composa ce livre, et non content de se venger de ceux qui régnaient alors, il tâcha de décharger son ressentiment sur la monarchie même, et sur tout le corps de la nation : et cela avec si peu de jugement, qu’il fournissait de très-fortes armes à la ligue pour l’exclusion d’Henri IV ; car selon ses principes les catholiques de France étaient en plein droit d’élire pour roi le duc de Guise, au préjudice des princes du sang. Un écrivain passionné, poursuivra-t-on, n’est guère capable de songer à l’avenir ; il ne songe qu’au présent ; il ne considère pas que les temps peuvent changer, et que la doctrine qui s’accorde aujourd’hui avec l’intérêt de notre cause sera un jour favorable à nos ennemis. C’est ce qui parut en France sous Charles IX et sous Henri III ; chaque parti fut obligé de se réfuter lui-même, comme Montaigne l’a finement dit ; voyez la remarque (I). On est assuré que si Catherine de Médicis s’était reformée, et qu’elle eût établi par toute la France la réformation, Hotman eût fait un beau livre pour prouver que la régence des femmes est une très-bonne chose, et selon l’esprit de nos lois fondamentales. De quelle force n’aurait-il pas réfuté les papistes qui auraient écrit contre cette reine ? La plus forte raison que les protestans de France aient alléguée pour justifier leur première prise d’armes, est ce que Catherine de Médicis écrivit au prince de Condé. Ils reconnaissaient donc l’autorité de cette femme. Hotman ne demandait-il pas du secours en Allemagne au nom de celle reine ? Ab his paullò post, immò et ab eâ quæ tum minorem annis regem regnumque administrabat, in Germaniam bis missus est de regis regnique rebus legatus, et auxilium à Cæs. Ferdinando ordinibusque Germaniæ rebus ruentibus petere jussus. Exstat dicta tum ab eo in comitiis imperii Francofordiensibus oratio[5]. Nous verrons ailleurs[6] qu’on l’accuse d’avoir usé de mauvaise foi dans sa Franco-Gallia, et nous tâcherons de répondre quelque chose en faveur de ce savant homme.

(F) … … et il fit un livre pour les droits du roi de Navarre. ] Ce fut celui du Droit du Neveu contre l’Oncle[7]. La ligue avait mis en tête au cardinal de Bourbon, oncle du roi de Navarre, de se parler pour le légitime successeur, et l’on employa un jurisconsulte italien qui fit un traité du Droit de l’Oncle contre le Neveu. François Hotman le réfuta doctement. Citons le père Maimbourg : Antoine

  1. Teissier, Additions aux Éloges de M. de Thou, tom. II, pag. 139.
  2. Elle fut écrite de Strasbourg en 1595, du sujet de la Vie de François Hotman, composée par Nevelet.
  3. Je crois qu’il faut lire la douleur.
  4. Lettres de Bongars, pag. 651, édition. de la Haye, 1695.
  5. Nevelet., in Vitâ Hottomanni.
  6. Dans la remarque (H).
  7. Vexatam illam rebus ita postulantibus et magnis viris hortantibus tractavit controversiam, de successione inter patruum et fratris filium, atque in universum de jure successionis regiæ in regno Galliæ. Neveletus, in Vitâ Hottomanni, pag. 224.