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HENRI II.

que les partisans des Guises font de lui dans Mézerai [1].

Quelques critiques diront peut-être que M. de Mézerai exténue trop les avantages accordés à Henri II par le traité de Cateau. Pourquoi se contente-t-il de faire mention des trois villes qui furent rendues à la France ? Pourquoi supprime-t-il la conquête de Calais, et celle de Metz, et de Toul et de Verdun ? Mais cette critique serait très-mauvaise ; car le traité de Cateau n’accorda point ces quatre places à Henri II. Il laissa l’empire dans la pleine liberté de redemander la restitution des trois dernières ; et il engagea solennellement la France à restituer Calais à l’Angleterre au bout de huit ans. C’est à quoi ne prit point garde l’historien anonyme qui parla ainsi [2]. « Le roy de France rendit à celui d’Espagne tout ce qu’il avoit conquis sur lui deçà et delà les monts. Item, au prince de Piemont la Bresse, la Savoie, le Piemont, excepté quatre villes : aux Génois l’île de Corse : Siene au duc de Florence : et ne retint rien que Calais, sans gaigner un poulce d’autre terre en ceste longue et pernicieuse guerre qui avoit desolé tant de provinces, saccagé, bruslé, ruïné tant de villes, bourgs, villages et chasteaux, fait mourir tant de princes, seigneurs, gentilshommes, capitaines, soldats, citadins et païsans, causé tant de ravissemens et violemens de femmes et filles : en un mot qui avoit mis sens dessus dessous toute l’Europe. Le roy rendit plus de deux cens (autres disent presque deux fois autant) places, pour la conqueste desquelles une mer de sang de ses sujets avoit esté espandue, les trésors du royaume espuisés, son domaine engagé, et lui endepté de toutes parts. » Cet historien suppose que pour le moins Henri II vit agrandir ses états par la cession de Calais. C’est un mensonge. Tout le reste de son discours est solide ; et comme il est sûr qu’on eût pu représenter au roi d’Espagne ce qu’Annibal représentait au général des Romains [3], quels foudres ce discours-là ne lance-t-il point sur la tête de Henri II ? On pouvait dire au roi d’Espagne que les pays, dont il dépouillait la France par ce traité de paix, ne valaient pas les sommes immenses que la guerre lui avait coûtées, ni tant de soldats et tant d’officiers qu’il avait perdus. Si cela était capable de diminuer la joie qu’une paix avantageuse lui faisait sentir, quel aurait dû être le crèvecœur du monarque à qui elle était désavantageuse ? Revenir d’une longue guerre les mains vides, c’est une honte, disait Homère [4]. Il eût parlé bien plus fortement sur un cas tel que celui-ci.

(D) L’esprit de persécution...... s’empara de ce prince. ] Henri II fut extrêmement sévère contre les réformés : il les faisait mourir sans rémission ; mais ils ne laissèrent pas de multiplier beaucoup sous son règne. S’ils ne furent pas fâchés de l’extrême consternation qui saisit la cour de France et la ville de Paris, après la bataille de Saint-Quentin, ils ne firent que ce que la nature leur inspira : toute secte maltraitée, et qui ne peut espérer quelque relâche qu’en cas que la cour se trouve dans l’embarras, se réjouira des progrès de l’ennemi, sera bien aise de voir ses persécuteurs si occupés des affaires du dehors, qu’ils ne sachent presque de quel côté se tourner. De toutes les sectes chrétiennes il n’y en a point de plus disposée à se conduire selon cet esprit, que la communion de Rome. Ainsi l’on ne devrait pas s’étonner, quand ce que M. Maimbourg assure [5] serait véritable : savoir, que les protestans se prévalurent de l’affliction publique où l’on était après la bataille de Saint-Quentin....... et se hasardèrent de faire leurs assemblées en plein jour dans les rues les plus fréquentées de Paris, et de paraître même en public, et de s’assembler en plein jour à grosses troupes dans le

  1. Histoire de France, tom. II, pag. 1135.
  2. Histoire des choses mémorables avenues en France depuis l’an 1547 jusques au commencement de l’an 1597, pag. 61.
  3. Voyez les Pensées diverses sur les Comètes, num. 113, pag. 658.
  4. Αἰσχρόν τοι δηρόν τε μένειν, κενεόν τε νέεσθαι.
    Turpe diùque manere, inanemque redire.
    Homer., Iliad., lib. II, vs. 298.

  5. Maimbourg, Histoire du Calvinisme, liv. II, pag. 96.