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HENRI II.

nu dans ses coffres, il ne lui demandait pour toute récompense de ses bons services sinon qu’il lui plût le bannir, lui et toutes les forces qui étaient de delà les monts, comme rebelles, et qu’il saurait bien conserver les places qu’il tenait aux dépens du Milanais et de la seigneurie de Gênes ; ou qu’au moins il mourrait glorieusement dans un pays d’où toutes les forces de l’Europe ne lui avaient su faire lâcher un seul pouce, depuis dix ans qu’on lui en avait commis la défense... Le roi témoigna avoir son zèle fort agréable ; mais au reste, ayant le cœur tout-à-fait porté à la paix, il répondit que quand il la ferait aux conditions qu’on lui proposait, il retiendrait encore assez de quoi se faire craindre à ses ennemis [1]. Sur quoi Guise poussé ou de son propre intérêt, ou des mouvemens de son honneur et de sa conscience, l’interrompant hardiment, lui dit : Votre majesté, Sire, me pardonnera si je lui dis que ce n’est pas en bien prendre le chemin, et que quand elle prouverait vingt-cinq ans durant la fortune aussi contraire qu’elle l’eut l’année passée, elle ne saurait perdre durant tout ce temps-là ce que l’on veut qu’elle rende en un seul jour. Il n’en coûta au feu roi vaincu et prisonnier, etc. » Je laisse toutes les raisons du duc de Guise, mais non pas ce qui les suit dans l’historien. Il dit beaucoup d’autres choses avec tant de véhémence, qu’il fit plusieurs fois changer de couleur au roi, mais non pas de résolution : le dé en était jeté ; et quiconque en fut cause, ou ses favoris, ou son propre naturel, il avait le courage si abattu qu’il ne pouvait plus supporter la guerre. Il ratifia donc le traité, et la paix fut publiée le 10e. jour du mois d’avril......... Tous les auteurs français qui ont écrit de ce temps-là, ont appelé cette paix la malheureuse et la maudite. Brissac ayant appris qu’elle était faite, s’écria plusieurs fois, ah ! misérable France, que de maux !....... Il demeura gouverneur des cinq villes et des huit châteaux que le roi retenait avec 8000 hommes de pied et 450 chevaux, et restitua les autres places : mais il en démolit auparavant la plus grande partie, et vendit les munitions, selon le commandement qu’il en reçut du roi ; non sans beaucoup de peine à avoir l’argent et les ordres nécessaires de la cour, parce que le connétable, favorisant le duc de Savoie, s’efforçait de lui faire retomber ses places toutes entières entre les mains, et même celles que le roi s’était réservées [2].

Nous verrons ci-dessous [3] que la cour de France fut assez faible pour se laisser persuader sous Charles IX et sous Henri III, l’évacuation du peu qu’elle s’était réservé ; et il n’y a point de doute que sous Charles IX le connétable n’ait eu bonne part à cette faute. Quand on songe aux biens immenses qu’il amassa, l’on ne doit pas dire de lui comme de tant d’autres, qu’en faisant bien les affaires de son maître il faisait très-bien les siennes ; il faut dire qu’en faisant très-bien ses affaires il fit très-mal celles de ses maîtres. Ne s’alla-t-il pas liguer sous Charles IX, avec les Guises, et ne fut-il point cause de la prodigieuse puissance où ils montèrent, qui fut si funeste à la monarchie, et qui pensa donner à la France une quatrième race de rois ? Lorsque François Ier. disgracia le connétable, il le traita d’ignorant dans les deux principales fonctions de sa charge, qui étaient la guerre et la politique [4]. Voyez le portrait

  1. Cela me fait souvenir de ces paroles de Trebellius Pollion : Pudet numerare inter hæc tempora quùm ista gererentur, quæ sæpè Gallienus malo generis humani quasi per jocum dixerit. Nam quùm ei nuntiatum esset, Ægyptum descivisse, dixisse fertur : Quid ? sine lino Ægyptio esse non possumus ? Quùm autem vastatam Asiam et elementorum concursionnibus et Scytharum incursionibus comperisset, Quid ? inquit, sine aphronitris esse son possumus ? Perditâ Galliâ arrisisse ac dixisse perhibetur, Non sine atrebaticis sagis tuta resp. est ? Sic denique de omnibus partibus mundi quùm eas amitteret, quasi detrimentis vilium ministeriorum videretur affici, jocabatur. Trebell. Poliio, in Gallienis duob., cap. VI, pag. m. 209.
  2. Mézerai, Histoire de France, tom. II, pag. 1184.
  3. Dans les remarques (G) et (H), où l’on verra encore des murmures contre la paix de l’année 1559.
  4. Varillas, Histoire de François Ier., liv. IX, pag. 397, édition de Hollande, 1690, à l’ann. 1540.