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HIPPONAX.

(E) Il y en a qui prétendent qu’il mourut de faim. ] Je ne crois pas qu’on ait d’autre fondement pour dire cela que ces deux vers :

Utque parùm stabili qui carmine læsit Athenas,
Invisus pereas, deficiente cibo [1].


Il y a des critiques qui prétendent qu’Ovide n’a point dit Athenas, mais Athenin, d’où il s’ensuivrait qu’il s’agirait ici d’Hipponax : Qui promus iambum claudicare fecit, et scazonta in Bupalum et Athenin composuit, ut est apud Suidam, ut rectè Ovidius, parùm stabile, id est claudum carmen ei tribuat. C’est ainsi qu’Alciat a parlé dans le chapitre XVIII du Ve. livre de ses Parergues. Turnébe ne s’éloigne point de cette pensée : Videtur, dit-il [2], de Hipponacte hoc intelligi qui claudicante et parùm stabili versu, id est scazonte in Bupalum et Athenin invectus est Athenienses : quo in carmine ne Athenis quidem pepercerat. Quid tamen si pro Athenas, Athenin scribamus, quem ab eo probris oneratum accepimus ? ne hanc quidem lectionem improbarem, etsi alteram delere non ausim. M. de Boissieu [3], qui rapporte ces deux passages, remarque que Sanctius et Valérius les approuvent. Pour lui il embrasse de tout son cœur cette conjecture, et trouve fort vraisemblable qu’Ovide a mis l’un auprès de l’autre les deux inventeurs du vers ïambique. Or il venait de parler d’Archilochus, et l’on sait par Denys d’Halicarnasse [4], par Clément d’Alexandrie [5], par Rufin [6] et par la poëtesse Sulpitia [7], qu’Hipponax a inventé les scazons. M. de Boissieu pouvait reprendre Turnébe de ce qu’il a dit que les deux ennemis d’Hipponax étaient d’Athènes ; car Pline dit expressément qu’ils étaient de l’île de Chio, et qu’ils le marquaient sur leurs ouvrages : Quibus subjecerunt carmen non vitibus tantum censeri Chium, sed et operibus Anthermi filiorum [8]. Ce que dit Turnèbe, qu’Hipponax n’épargna point la ville d’Athènes dans les vers qu’il fit contre ces deux sculpteurs, n’a nul fondement ; c’est un coup en l’air. Un ministre allemand [9] ayant appliqué à Hipponax les deux vers d’Ovide, poursuit ainsi : Ex Plinio numirùm compertum est Athenim vel Athenam sculptorem in Hipponactis scripta incurrisse, carmina ejus sustulisse maledica, authorem verò lethali inediâ fuisse confectum. Pline ne dit rien de semblable.

(F) Il ne serait ni le premier ni le seul qui aurait fait mourir des gens par des invectives. ] Avant lui Archilochus avait écrit des satires qui avaient contraint deux ou trois personnes à se pendre [10]. Poliagrus, maltraité dans une comédie, se pendit [11]. Il ne se faut pas étonner qu’une satire jette dans ce désespoir, puisqu’une simple censure a produit quelquefois cet événement funeste. Pythagore, ayant repris un peu rudement l’un de ses disciples en présence de plusieurs personnes, lui causa un si noir chagrin, qu’il l’obligea à s’étrangler, et depuis ce temps-là ce grand philosophe ne censura plus personne qu’en particulier. Πυθαγόρου δὲ τραχύτερον ἐν πολλοῖς γνωρίμῳ προσενεχθέντος, ἀπάγξασθαι τὸ μειράκιον λέγουσιν· ἐκ τούτου δὲ μηδέποτε τὸν Πυθαγόραν ἆυθις ἄλλου παρόντος ἄλλου νουθετῆσαι. Ferunt, adolescentulum quendam à Pythagorâ, cui operam dabat, multis præsentibus compellatum asperiùs, suspendio vitam finiisse, atque ab eo tempore Pythagoram numquàm alio præsente quenquam corripuisse [12]. Diodorus Cronus mourut de chagrin pour avoir été insulté par un roi d’Égypte, sur ce qu’il n’avait pu résoudre les difficultés de logique que Stilpon lui avait proposées à la table de ce roi [13]. Il y a eu des censures qui, sans faire mourir la personne censurée, ont causé une douleur si per-

  1. Ovid., in Ibin, vs. 525.
  2. Adversar., lib. IX, cap. XXV.
  3. Comment. in Ibin., pag. 100, 101.
  4. Lib. de Interpr.
  5. Stromat., lib. I.
  6. De Metris Comicis.
  7. Ses vers ont été cités dans la remarque (B).
  8. Plin., lib. XXXVI, cap. V.
  9. Spizelius, in Fel. litterat., pag. 718.
  10. Voyez l’article Archilochus, remarque (C), tom. II, pag. 276.
  11. Ælian., Var. Hist., lib. V, cap. VIII.
  12. Plutarch., de Discrim. Adulat. et Amici, pag. 70, F.
  13. Diog. Laërt., lib. II, num. 112. Voyez aussi Pline, lib. VII, cap. LVII.