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GUISE.

guerriers du commun. Elles croient qu’il y a bien plus de gloire à captiver un grand courage, qu’à captiver des cœurs pacifiques. L’avantage est tout certain de ce côté-là : le reste est fort casuel. Il y a des braves qui, dans les combats d’amour, n’égalent pas l’homme casanier. Tel Romain qui avait fait vingt campagnes glorieuses, et fécondes pour lui en récompenses militaires, n’avait jamais été comparable sur l’autre chef de vigueur, à un Ovide et à un Horace [1], et à cent petits muguets très-mal propres à se servir d’une épée. Je ne pense pas que le plus brave homme de France eût pu disputer sur ce point-là avec Zacachrist, ni que le maréchal de Rantzaw, qui portait tant de glorieuses marques de sa valeur, et qui était bien plus balafré que le duc de Guise, ait approché de la force du tendre Voiture.

Si nous remontons plus haut, nous trouverons que le ravisseur d’Hélène n’est pas le vaillant Hector, mais le lâche et efféminé Pâris ; et nous verrons que le grand Homère, qui peignait si heureusement et si naïvement toutes les passions, se sert de l’exemple de ce pagnote pour décrier l’impatience déréglée de ceux qui s’approchent de leurs femmes pendant le jour. Il n’y a dans ses poëmes que le seul Pâris qui en use de la sorte. Notez qu’il est embrasé de cette impatience au milieu même de la honte qu’il devait avoir de s’être sauvé tout fraîchement d’un combat. Le poëte n’a-t-il point voulu désigner par-là les forces vénériennes des poltrons ? Plutarque ne le dit point ; mais peut-être l’eût-il pu dire avec autant de raison qu’il en a eu dans les paroles suivantes [2] : A quoi servira d’exemple ce que fait Pâris en Homère, qui s’enfuyant de la bataille, s’en va coucher dedans le lict avec la belle Helene : car n’ayant le poëte nulle part ailleurs introduit homme qui aille de plein jour coucher avec sa femme, il monstre assez clairement qu’il juge et repute telle incontinence reprochable et honteuse [3]. Voyez dans le IIe. livre de l’Iliade les reproches que faisait Hector à ce fuyard, et voici ce qu’Hélène lui représenta :

Quod benè te jactas, et fortia facta recenses ;
A verbis facies dissidet ista suis.
Apta magis Veneri, quàm sint tua corpora Marti.,
Bella gerant fortes : tu, Pari, semper ama.
Hectora, quem laudas, pro te pugnare jubeto ;
Militia est operis altera digna tuis [4].

(P) Le duc de Mayenne... exerça un pouvoir qui différa peu du royal. Il ne tint qu’à lui de prendre le nom de roi. ] Il apprit à Lyon la mort du duc et du cardinal de Guise, ses frères, et tout aussitôt il se retira en Bourgogne, dont il était gouverneur [5]. Il y assembla des troupes, et puis il marcha vers Paris. Il fut reçu à Troyes avec les mêmes honneurs que l’on rend aux rois. Il y agit en souverain, envoyant de là des commissions aux créatures du duc de Guise, et surtout à Rosne et à Saint-Pol, auxquels il fit expédier des ordres pour commander en Champagne et en Brie [6]. Il entra, le 12 de février 1589, à Paris [* 1], « où, comme si l’on eût vu le duc de Guise ressuscité en sa personne, on fit éclater la joie publique avec tant de transports et d’excès, qu’on en vint même jusqu’à exposer son tableau avec la couronne fermée, et à lui dresser un trône royal [* 2] ; et s’il eût eu assez d’ambition et d’audace pour s’y placer, il eût trouvé peut-être assez de gens qui l’eussent reconnu, pour tenir sous lui des gouvernemens qu’il leur eût donnés en titre de duchés et de comtés avec hommage, comme fit

  1. (*) Journal MS. de M. Loysel.
  2. (*) Journal de Henri III.
  1. Il avoue, od. VII, lib. II, qu’il prit la fuite dans un combat, et Suétone, in Vitâ Horatii, assure que ce poëte ad res venereas intemperantior traditur, nam et speculato, etc.
  2. Plut., de audiendis Poëtis, pag. 18, F ; version d’Amyot.
  3. Οὐδένα γὰρ ἄλλων νθρώπων ἡμέρας συγκοιμώμενον γυναικὶ ποιήσας, ἢ τὸν ἀκόλαςον καὶ μοιχικὸν, ἐν αἰσχύνῃ δῆλός ἐςι καὶ ψόγῳ τιθέμενος τὴν τοιαύτην ἀκρασίαν. Nam quùm neminem alium interdiis cum uxore rem habere commemoret, extra intemperantem hunc et adulterum : satis evidenter docet, se hoc de eo opprobrii et reprehensionis causâ referre. Idem, ibid.
  4. Ovid., epist. Helen. ad Parid., vs. 251, pag. m. 74.
  5. Maimbourg, Histoire de la Ligue, pag. 294.
  6. Là même, pag. 315.