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DUAREN.

plaindre un beau génie qui emploie bien du temps à se préparer à rapporter un procès. Que faut-il qu’il étudie, et qu’il examine ? les phrases dont un notaire s’est servi dans un testament ou dans un contrat de mariage, pour expliquer les désirs d’un petit particulier. J’ai ouï dire à un conseiller du parlement de Metz, que cette sorte d’étude est d’autant plus désagréable, qu’elle ne nourrit point l’esprit, et ne lui donne aucune étendue. Rapportons ici les vers de M. Perrault touchant le désavantage de nos avocats comparés avec ceux de l’antiquité[1].

Je la vois s’applaudir de ses grands orateurs,
Je vois les Cicérons, je vois les Démosthènes,
Ornemens éternels et de Rome et d’Athènes,
Dont le foudre éloquent me fait déjà trembler,
Et qui de leurs grands noms viennent nous accabler.
Qu’ils viennent, je le veux, mais que sans avantage
Entre les combattans le terrain je partage ;
Que dans notre barreau l’on les voie occupés
À défendre d’un champ trois sillons usurpés ;
Qu’instruits dans la coutume, ils mettent leur étude
A prouver d’un égout la juste servitude ;
Ou qu’en riche appareil la force de leur art
Éclate à soutenir les droits de Jean Maillart.

(G) On a fait une édition des ouvrages de Duaren à Francfort, l’an 1592, in-folio. ] Le Catalogue d’Oxford, M. Pope Blount[2], et plusieurs autres, ne marquent que cette édition ; mais j’ajoute que pendant la vie de Duaren on imprima un recueil de ses écrits à Lyon, l’an 1554, in-folio, chez Rouille ; et qu’après sa mort on en fit dans la même ville et chez le même libraire une autre édition plus ample, l’an 1579, in-folio. Nicolas Cisner, qui avait été son disciple, et puis professeur en droit à Heidelberg, fournit plusieurs pièces à l’imprimeur. Cela paraît par la petite préface qu’il fit mettre au-devant de cette édition, et qu’il composa à Spire l’an 1578. Je l’appelle petite, afin de la distinguer de celle qu’il mit au-devant de la seconde partie des œuvres de Duaren, et qui peut passer pour une juste dissertation de modo et arte docendi atque discendi jura. Il la fit à Spire, l’an 1575. Je n’ai point vu l’édition qui est marquée dans le texte de cette remarque : mais je sais qu’elle fut réitérée a Francfort, l’an 1607. Je me sers de celle de Genève, 1608, apud Petrum de la Rovière, et je suis bien fâché de n’y trouver pas les deux écrits de Duaren contre Baudouin[3].

(H) On pourrait enrichir de plusieurs autres pensées son traité des Plagiaires. ] J’en vais fournir une. On ne parle presque jamais de ces gens-là, sans les comparer à la corneille d’Ésope[4]. On a trouvé cette idée dans ces vers d’Horace :

Quid mihi Celsus agit ? monitus, multumque monendus,
Privatas ut quærat opes, et tangere vitet
Scripta, Palatinus quæcunque recepit Apollo :
Ne, si fortè suas repetitum venerit olim
Grex avium plumas, moveat cornicula risum,
Furtivus nudata coloribus[5].

Duaren s’en est servi ; car il se vante de pouvoir réduire facilement son plagiaire à l’état de cet oiseau. Corniculam Horatianam planè mihi deprehendisse videor, quam furtivis nudare coloribus nihilo mihi difficilius esse puto quàm Aristophani illi poëtarum Alexandrinorum furta detegere ac convincere[6]. Mais je n’ai encore vu personne qui ait comparé les plagiaires avec les perdrix. Celui qui acquiert des richesses et non point selon le droit, est une perdrix qui couve ce qu’elle n’a point pondu : il les laissera au milieu de ses jours et sera trouvé fou à la fin[7]. Ces paroles sont du prophète Jérémie, et déclarent que ceux qui s’enrichissent du bien d’autrui ne conservent pas jusques à la mort ces richesses mal acquises. Les interprètes disent là-dessus que la perdrix dérobe les œufs des autres oiseaux, et qu’elle les couve ; mais que les petits qu’elle fait éclore ne la reconnaissent point pour leur mère, et qu’ils la quittent, et vont trouver l’oiseau qui avait pondu ces œufs[8]. Voilà le sort ordinaire

  1. Perrault, dans le poëme intitulé : Le Siècle de Louis-le-Grand, pag. m. 175 du Ier. tome de son Parallèle des anciens et des modernes.
  2. Pope Blount, Cens. Author., pag. m. 466.
  3. Epistolæ de Francisco Balduino. Defensio adversùs Balbini sycophanta maledicta.
  4. Ou plutôt au geai. Voyez M. Dacier sur la IIIe. epître du Ier. livre d’Horace, pag. m. 207.
  5. Horat., epist. III, lib. I, vs. 15.
  6. Duaren., epist. de Plagiar., pag. 296, part. II Oper.
  7. Jérémie, chap. XVII, vs. 11.
  8. Voyez Drusius. Observation. lib. IV, cap. XXIV, pag. m. 99.