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DUAREN.

dire vrai, qu’on se persuadait enfin ses propres fictions. Per idem tempus Asia atque Achaja exterritæ sunt, acri magis quàm diuturno rumore, Drusum Germanici filium apud Cyclades insulas, mox in continenti visum ; et erat juvenis haud dispari ætate, quibusdam Cæsaris libertis, velut agnitus, per dolumque comitantibus. Alliciebantur ignari, famâ nominis, et promptis Græcorum animis ad nova et mira : quippe lapsum custodiâ pergere ad paternos exercitus, Ægyptum aut Syriam invasurum, fingebant simul, credebantque : jam juventutis concursu, jam publicis studiis frequentabatur, lætus præsentibus, et inanium spe[1]. Poppéus Sabinus gouverneur de Macédoine ne s’endormit point ; et il eut raison de ne pas traiter la chose de bagatelle : les factieux pouvaient tirer de grandes utilités d’une telle fourbe. Il fit tant de diligences, qu’il se saisit du personnage. On se peut souvenir qu’au commencement du XVIIe. siècle presque tous les princes ennemis des Espagnols étaient bien aises que l’imposteur, qui se nommait Sébastien roi de Portugal, ne fût point reconnu pour imposteur ; et si les choses avaient été une fois mises en train, on eût vu toutes les puissances jalouses de la maison d’Autriche accourir au secours du prétendu Sébastien. Il y a eu des gens qui ont soutenu en Angleterre qu’on n’avait pas pris le duc de Montmouth[2], et que celui qu’on avait décapité comme tel était un autre homme. Cette sottise était une graine qu’on semait alors, et qui aurait pu porter fruit en sa saison. Les esprits factieux étaient bien aises que cette opinion ne s’éteignît pas : le temps viendra, disaient-ils, que peut-être nous aurons besoin de ce duc pour attirer la populace. Vous trouverez des choses bien singulières touchant le soin que l’on prend de fomenter cette erreur ; vous les trouverez, dis-je, dans les Lettres historiques du mois d’octobre 1698[3].

(E) Il fut très-mal marié. ] Nous avons perdu l’endroit où Tacite avait fait mention du mariage de Drusus et d’Émilia Lépida[4]. Si nous avions toutes les Annales de cet incomparable écrivain, nous saurions la persécution horrible que Drusus eut à souffrir de la part de cette femme. Elle fut sa délatrice, toute couverte qu’elle était de mille crimes qui la rendaient incapable d’être témoin. Elle demeura impunie pendant la vie de son père ; mais, dès qu’il fut mort, les délateurs la citèrent : et comme il était certain qu’elle avait commis adultère avec un esclave, elle ne s’amusa point à se défendre ; elle trouva plus court de mettre fin à sa vie[5]. La malédiction de Dieu était visible sur cette race. Germanicus même, et son illustre épouse, y furent enveloppés. {{References-Bayle}

DUAREN (François), professeur en droit civil à Bourges au XVIe. siècle, était de Saint-Brieux ville de Bretagne. Il fut le premier des jurisconsultes français qui chassa des chaires de droit la barbarie des glossateurs, pour y faire paraître les pures sources de l’ancienne jurisprudence. Comme il souhaitait de ne partager cette gloire avec personne, il vit d’un œil d’envie la réputation de son collègue Éguinard Baron, qui mêlait aussi la belle littérature avec la science du droit. Cette jalousie le poussa à composer un ouvrage où il tâcha de diminuer l’estime que l’on en avait pour son collègue[a] (A). On vit en lui la vérité de la maxime,

Pascitur in vivis livor, post fata quiescit ;


car après la mort de Baron il se montra des plus ardens à l’éterni-

  1. Ex Sammarthano, in Elogiis, lib. I, pag. m. 38.
  1. Idem, Annal., lib. V, cap. X, ad ann. 784.
  2. En l’an 1686.
  3. Pag. 457 et suivantes.
  4. Æmilia Lepida quam juveni Druso nuptam retuli. Tacit., Annal., lib. VI, cap. XL, ad ann. 788. On ne trouve rien de cela dans les livres précédens.
  5. Idem, ibid.