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FRANÇOIS Ier.

testations contre, dans le château de Fontainebleau, en présence du duc de Vendôme, du comte d’Enghien son frère, et de François, comte d’Aumale, le 2e. jour de décembre [1]. » Il est aisé de s’imaginer que le roi de France avait alors la destinée de plusieurs autres grands princes ; c’est d’être très-malheureux en famille, c’est de sentir mille jalousies, et mille inquiétude causées par celui qui lui devait succéder. Ceux qui empoisonnèrent le duc d’Orléans sauvèrent la vie peut-être à deux cent mille hommes, et peut-être aussi qu’ils épargnèrent à la France la funeste honte de troubler l’ordre de la succession [2].

(S) Le surnom de Grand, qui lui fut donné après sa mort, n’a pas été de durée. ] Qu’on lui ait donné ce surnom après sa mort, c’est Théodore de Bèze [3] qui me l’apprend : mais que cela n’ait fait que passer, je l’infère de ce que tout le monde dit et écrit François Ier., et non pas François-le-Grand. On dit, on écrit, Henri IV, où Henri-le-Grand. C’est la même chose. Il en serait de même de François Ier., et de François-le-Grand, si ce dernier titre n’était tombé fort peu après sa naissance. Il n’est pas besoin d’avertir que le grand roi François Ier., et François-le-Grand, sont deux choses de diverse signification [* 1].

(T) Il témoigna un peu trop de peur en rentrant en France. ] Je me servirai des paroles de Mézerai : sitôt que le roi fut sur la rive de deçà, il monta promptement sur un cheval turc, comme s’il eût eu peur de quelque embûche, et piqua à Saint-Jean-de-Luz, qui est à quatre lieues de là, où s’étant rafraîchi demi-heure, il alla avec pareille diligence à Bayonne [4]. Il fallait qu’il eût reçu pendant sa prison un traitement bien indigne, puisqu’il chargea ses enfans de l’en venger à peine de sa malédiction. J’ai lu cela dans une lettre du secrétaire [5] de l’amiral Chabot, que M. le Laboureur a publiée. Elle fut écrite de Londres, le 5 de février 1535, et contient entre autres choses qui furent dites par Henri VIII à ce secrétaire, qu’il estoit souvenant et bien recordé, quand ils se entretrouverent dernierement ensemble, que ledit seigneur [6] parlant un jour à messeigneurs le dauphin d’Orleans et d’Angoulesme ses enfans en la presence du dit roi, leur dit ces propres mots : Que s’il savoit qu’ils oubliassent jamais les tors et inhumains traitemens faits à lui et eux par ledit empereur, en cas qu’ils ne s’en vengeassent, si faire lui mesmes ne le pouvoit, comme il esperoit durant sa vie, qu’il leur donnoit dès lors sa malediction [7].

(U) On a débité faussement que Francois Ier. naquit après une longue stérilité de sa mère. ] Plusieurs de ceux qui ont publié la vie de François de Paule ont assuré que la princesse Louise de Savoie, femme de Charles de Valois, déplora auprès de ce saint personnage le malheur qu’elle avait d’être stérile ; et il y avait long-temps [8], ajoutent-ils, qu’elle sentait cette imperfection. François de Paule lui en obtint la délivrance par ses prières, et c’est pour cela qu’étant accouchée d’un garçon, elle le fit appeler François. Voilà ce qu’ils content. Théophile Raynaud, sur la foi de ces écrivains, débita le même fait dans son Trinitas Patriarcharum, ouvrage où il fait l’éloge de saint Bruno patriarche ces chartreux, de saint Ignace patriarche des jésuites, et de saint François de Paule patriarche des minimes ; mais on l’avertit que c’était un grand mensonge, puisque Louise de Savoie devint veuve à l’âge de dix-neuf ans, et qu’elle était déjà mère de la princesse Marguerite, et du prince François, ce qui prouve invinciblement qu’elle m’avait pu déplorer auprès de

  1. * Leduchat regrette que le nom de grand, que François Ier. reçut des gens de lettres, ne lui ait pas été conservé par la postérité, sans doute parce qu’on croit qu’un prince ne peut mériter ce nom que par de grandes conquêtes et par un grand nombre de victoires.
  1. Mézerai, Abrégé chronol., tom. IV, pag. 631, à l’ann. 1544.
  2. Voyez la remarque (S) de l’article Henri II, tome VIII,
  3. Histoire des Églises réformées, liv. I, à la pag. 66.
  4. Histoire de France, tom. II, pag. 950, à l’ann. 1526.
  5. Il s’appelait Palamède Gontier.
  6. C’est-à-dire, François Ier.
  7. Addit. aux Mémoires de Castelnau, tom. II, pag. 420.
  8. Diù sterili. Theoph. Raynaud., Syntagm. de Libris propriis, art. LVI, pag. 63, Apopompæi.