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FRANÇOIS Ier.

dire alors, ô couronne, si l’on savoit ce que tu pèses ! etc. [1].

(F) Cette guerre se termina plus tôt que ne l’auraient cru ceux qui ne connaissaient pas à fond l’état des choses. ] La plupart des gens s’imaginaient que Charles-Quint ayant fait de si grands progrès dans la Champagne n’écouterait que des conditions de paix trop honteuses à son ennemi pour être acceptées. Ils n’espéraient donc pas un bon succès de la négociation ; mais ceux qui savaient qu’il serait très-aise de terminer cette guerre eurent beaucoup d’espérance. Tel fut un poëte italien réfugié à Paris : lisez ce passage : Lorsque le roi François Ier. et l’empereur Charles le Quint se trouvèrent en présence l’un de l’autre dans la France, l’an 1544, avec chacun une puissante armée, fort lassés l’un et l’autre de se faire la guerre, quelques grands personnages s’entremirent à faire la paix, qui pour lors se fit entre ces deux grands monarques. Quelques-uns demandèrent à Louis Alamanni, Florentin, s’il croyait que ces personnages pussent faire cette paix, auxquels il répondit en distique italien :

Com’ esser può ch’a noi pace si toglia,
S’un n’ha necessita, l’altro n’ha voglia ?


C’est-à-dire,

Que nous n’ayons la paix, comment se peut-il faire,
Vu qu’elle plaît à l’un, à l’autre est nécessaire [2] ?


Il n’y avait rien de plus juste que ce raisonnement, et il n’y a point de pronostic [3] d’une paix prochaine, plus assuré que le besoin où se trouvent les parties de faire cesser la guerre. Le défaut d’argent produit une lassitude qui n’est pas moins opérative que la satiété. On fait comme la femme de l’empereur Claude [4] : on se retire sans être soûlé ; mais on est las. Avant cela on faisait la sourde oreille aux médiateurs : alors on les prie d’agir, ou plutôt on se passe d’eux, on négocie en droiture ; on convient du principal, on conclut, ou sans leurs offices, ou en ne les employant que par forme. Voici ce qu’on lit dans un historien de la paix des Pyrénées [5] : Sur le sujet de cette paix, ainsi conclue sans l’intervention de ceux qui l’avaient moyennée de longue main, on s’est souvenu d’un mot que dit un jour le pape Innocent : comme il était à une fenêtre de son palais sur la place Navone, il y vit deux hommes de basse condition qui se battaient outrageusement à coups de poing, il défendit qu’on les séparât, ajoutant, vous verrez que, quand ils seront las, ils s’apaiseront eux-mêmes ; ce qui étant arrivé peu après, ainsi seront, reprit-il, les Français et les Espagnols ; quand ils seront bien las de faire la guerre ensemble, ils feront la paix entre eux sans l’entremise de qui que ce soit.

(G) Il fut mal servi par sa propre mère. ] Elle était de la maison de Savoie. Je ne parlerai que de deux choses qu’elle fit au grand préjudice de la France. Elle se fit donner l’argent qu’on avait promis à Lautrec, gouverneur du Milanais, ce qui fut cause qu’on perdit ce pays-là ; et lorsqu’elle vit François Ier., fort en colère de cette perte, demander raison de cet argent au trésorier de l’épargne [6], elle nia tout court qu’on lui eût représenté la destination de ces sommes. Le démenti qu’elle donna à ce trésorier fut cause que ce pauvre misérable fut pendu [7]. Quel mal ne causa-t-elle pas à la France, par l’envie d’épouser Charles de Bourbon ? Le dépit de voir ses avances méprisées la porta à persécuter ce prince par mille chicanes de palais, qui l’outrèrent jusques au point qu’il traita avec l’empereur, et qu’il alla commander en Italie contre les intérêts de la France et contre la personne même de François Ier. à la journée de Pavie [8].

(H) On ne saurait excuser... les

  1. Voyez Val. Maxime, liv. VII, chap. II, num. 5, ext. Stobée, sermone XLVII, attribue cette sentence au roi Antigonus.
  2. Meynier, à la page 589 de ses Demandes curieuses et Réponses libres. J’ai corrigé quelques fautes d’impression. Il a tiré cela du Considerationi civili di Remigio Fiorentino, cap. XCVII, folio m. 123 verso.
  3. Tel fut celui de tous les habiles gens du commencement des conférences de Ryswicken, 1697.
  4. Et lassata viris nondum satiata recessit,

    Juven., sat. VI, vs. 129.

  5. Galeazzo Gualdo Priorato, Hist. de la Paix, pag. 124, 125, édit. de 1667.
  6. Il s’appelait jacques de Beaune, seigneur de Samblançai. Voyez l’article Samblançai, tome XIII.
  7. Varillas, Histoire de François Ier., liv. III, pag. 215, 216, à l’an 1522.
  8. Là même, liv. IV, pag. 247 et suiv.