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FRANÇOIS Ier.

(D) L’on prétend qu’il lui en coûta la vie. ] Les auteurs français parlent de cela fort librement. L’un d’eux ayant fait mention d’un abcès qui mit ce prince à l’extrémité[1], ajoute : J’ai entendu dire quelquefois qu’il avait pris ce mal de la belle Ferronnière, l’une de ses maîtresses, dont le portrait se voit encore aujourd’hui dans quelques cabinets curieux ; et que le mari de cette femme, par une étrange et sotte espèce de vengeance, avait été chercher cette infection en mauvais lieu pour les infecter tous deux. Le danger étant passé, ce mal le tint encore long-temps en douleur[2]. C’est ainsi que parle Mézerai sous l’an 1539. Voyons ce qu’il dit touchant la dernière maladie de ce monarque. Cet ulcère malin qui lui était venu l’an 1539, n’ayant pu être guéri par ses médecins, qui n’osèrent pas le traiter avec la rigoureuse méthode qu’il faut apporter à ces maux-là, s’était traîné jusqu’au col de la vessie, et commençait à la ronger avec des ardeurs insupportables : tellement que cette douleur et cette infection, qui était répandue par toute l’habitude du corps, lui causaient une fièvre lente, et une morne fâcherie qui le rendaient incapable d’aucune entreprise[3]. Cette fièvre lente, convertie bientôt en continue, l’emporta le 30 de mars 1547. Quoique cet auteur, dans son Abrégé Chronologique, ait dit la plupart des choses qu’on vient de voir, je ne laisse pas de mettre ici ce qu’il répète : on y trouvera de nouveaux faits. « Trois mois après le roi fut grièvement malade d’un fâcheux ulcère, qui lui vint à la partie que les médecins nomment le périnée. Ce mal, disait-on, était l’effet d’une mauvaise aventure qu’il avait eue avec la belle Ferronnière, l’une de ses maîtresses. Le mari de cette femme, désespéré d’un outrage que les gens de cour n’appellent qu’une galanterie, s’avisa d’aller dans un mauvais lieu s’infecter lui-même, pour la gâter, et faire passer sa vengeance jusqu’à son rival. La malheureuse en mourut, le mari s’en guérit par de prompts remèdes. Le roi en eut tous les fâcheux symptômes ; et comme ses médecins le traitèrent selon sa qualité plutôt que selon son mal, il lui en resta toute sa vie quelques-uns, dont la malignité altéra fort la douceur de son tempérament, et le rendit chagrin, soupçonneux et difficile[4]. » M. Varillas, quoique fort court, contre sa coutume, sur une matière comme celle-ci, ne laisse pas d’ôter au lecteur toute la nécessité des supplémens d’imagination[5]. J’ai lu dans Brantôme que le roi communiqua à la reine Claude le mal qu’il avait gagné. Voyez le Calendrier du père l’Enfant[6], vous y trouverez cette vérole de François Ier., gagnée dans le lit de la belle Ferronniére. Cet auteur cite du Verdier en la Vie de ce monarque.

J’ai ouï dire que cette maîtresse n’était appelée la Ferronnière, qu’à cause que son mari était un marchand de fer. Je douterais moins de cela, si je n’avais lu dans Louis Guion que celle qui fut infectée par son mari, et qui infecta le roi, était la femme d’un avocat. Voici les paroles de cet écrivain [7] : « François Ier. rechercha la femme d’un advocat de Paris, très-belle et de bonne grâce, que je ne veux nommer, car il a laissé des enfans pourveus de grands estats, et qui sont gens de bonne renommée, auquel jamais ceste dame ne voulut oncques complaire ; ains au contraire le renvoyoit avec beaucoup de rudes paroles, dont le roi estoit contristé. Ce que connoissans aucuns courtisans et maquereaux royaux, dirent au roy,

  1. En l’an 1539.
  2. Mézerai, Histoire de France, tom. II, pag. 1005.
  3. Là même, pag. 1039, à l’an 1547.
  4. Abrégé chronol., tom. IV, pag. 606, à l’an 1538.
  5. On ne pouvait douter que les excès amoureux de Henri (VIII roi d’Angleterre) n’eussent avancé sa fin, et François sentait approcher la sienne, causée par la maladie dont on a parlé dans le quatrième livre. Varillas, Histoire de François Ier., liv XII, pag. 264. Je crois qu’au lieu de quatrième, il faut huitième, et que M. Varillas a voulu parler de ce passage du livre VIII, pag. 359. Deux célèbres événemens terminèrent l’année 1538. L’un fut la longue maladie du roi dans Compiègne, causée par un ulcère aux parties que la pudeur défend de nommer. Sa majesté en guérit alors, mais elle en mourut neuf ans après.
  6. Sous le 31 mars, pag. 197.
  7. Tom. II de ses Diverses Leçons, liv. I, pag. 109.