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FRANÇOIS Ier.

nait le grand chemin par les tendres cajoleries dont il enchantait la jeune reine [a] (B), lorsqu’on lui fit connaître le péril où il s’exposait. Quoiqu’on raconte diversement cette historiette (C), on convient qu’il profita de ce bon avertissement ; mais à l’égard des autres femmes, il garda peu de mesures[b], et l’on prétend qu’il lui en coûta la vie (D). J’ai dit ailleurs [c], que la principale de ses maîtresses le mit à deux doigts de perdre tout son royaume. Il ne se défiait pas de ce noir complot ; et voyant le mauvais tour que les affaires prenaient, il lui échappa quelques murmures contre la divine providence (E). Ce fut pendant une guerre que l’on termina beaucoup plus tôt que ne l’auraient cru ceux qui ne connaissaient pas à fond l’état des choses (F). Il connut trop tard qu’il avait choisi pour ses favoris deux ou trois personnes qui en étaient fort indignes, et dont les mauvais conseils lui avaient été extrêmement préjudiciables. S’il avait éloigné de lui douze ans plus tôt le connétable de Montmorenci [d], il ne se serait pas vu dans de si dures extrémités. Il y avait outre cela dans son étoile je ne sais quoi de malheureux, qui faisait que lors même qu’humainement parlant il se conduisait selon les règles de la prudence il ne réussissait pas. Toutes ces choses bien considérées rendent son règne très-admirable : car qui ne s’étonnerait de voir que ce prince, peu favorisé de la fortune, mal servi par sa propre mère (G), livré à des favoris imprudens, trahi par ceux qu’il honorait de sa plus étroite confidence, ait pu résister aussi glorieusement qu’il a fait à l’empereur Charles-Quint, c’est-à-dire à un ennemi dont les états étaient de beaucoup plus grands que la France ; qui avait plus d’argent et plus de troupes que lui ; qui était et un grand guerrier et un très-fin politique ; qui était fidèlement et habilement servi par ses généraux et par ses ministres ; et qui était secondé presque toujours, ou par l’Angleterre, ou par d’autres puissans princes contre lui seul ? Tout bien compté, il est plus glorieux à François Ier. d’avoir conservé son royaume dans de telles circonstances, qu’il n’est glorieux à Charles-Quint de ne l’avoir pu conquérir. Je crois qu’on pourrait dire de ces deux princes, que l’un sans l’opposition de l’autre eût pu parvenir à la monarchie universelle ; et que, puisqu’on se liguait plus souvent en faveur de Charles-Quint qu’en faveur de François Ier., l’on redoutait plus ce roi de France que ce roi d’Espagne. Je crois de plus que si la liberté de l’Europe ne fut pas entièrement opprimée par Charles-Quint, on en a presque toute l’obligation à la valeur de François Ier. [e]. Je ne sais si la mauvaise fortune de ce monarque a paru dans aucune affaire autant que dans l’alliance

  1. Femme de Louis XII.
  2. Il s’engagea au voyage de Milan, entre autres raisons, pour y coucher avec une belle femme. Voyez les Pensées sur les Comètes, pag. 715.
  3. Dans l’article Étampes, remarq. (E).
  4. Voyez l’article de Henri II, t. VIII.
  5. Tome V, pag. 65, remarque (A) de l’article Charles-Quint.