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FRANÇOIS Ier.

que le sermon d’un domestique. On y trouve assez souvent plus d’excès sur l’efficace du scapulaire, que dans le sermon du carme. Voilà donc un commerce mutuel de bons offices. Il n’y a pas long-temps qu’un homme de beaucoup d’esprit, et qui est présentement de la religion, me conta que pendant qu’il était bénédictin il fut prié de prêcher dans un couvent de franciscains à la solennité de la Portioncule. Ils lui marquèrent sur quoi ils souhaitaient principalement qu’il insistât. Il s’accommoda en partie à leur désir, mais il donna à la matière un certain tour qui ne leur plut pas. Quelques-uns d’eux le lui témoignèrent adroitement : il leur fit son apologie, et puis il leur demanda en confidence s’il était juste d’assurer en chaire tant de choses qui n’étaient pas véritables. Et que voulez-vous donc que nous fassions ? répondirent-ils. Voulez-vous que nous mourions de faim ? C’est ce qui me servira de passage à la 3e. réflexion. Il y a dans l’église romaine plusieurs abus qui, selon toutes les apparences, dureront aussi long-temps qu’elle. On aura beau passer d’un siècle savant à un siècle plus savant ; ces choses-là ne changeront point. Il est vrai qu’elles sont nées dans des siècles d’ignorance ; mais l’ignorance n’était point la seule cause, ni même la principale cause de leur formation. Les besoins d’une communauté, tant pour se nourrir, que pour se loger commodément, l’intérêt que l’on avait à montrer aux peuples un autel bien décoré, et de riches ornemens d’église ; tout cela voulait que l’on fît des descriptions ravissantes des priviléges d’un certain saint, et d’une certaine chapelle, et d’une certaine fête. C’était un fonds journalier de subsistance, et lorsque l’anniversaire revenait, c’était le temps de la moisson et de la vendange de l’ordre. Or les besoins dont je parle ne sont point sujets aux vicissitudes de la lumière et des ténèbres : ils sont de tous les temps ; ils sont les mêmes sous un siècle d’ignorance et sous un siècle de science. C’est pourquoi leurs effets ne cessent point, encore que l’on devienne plus éclairé. Les esprits philosophes sont en peine s’ils doivent admirer en cela la longue indulgence, ou la longue colère du ciel, et il y en a qui appliqueraient volontiers ici le

Tantæne animis cœlestibus iræ,


qu’un docteur anglais applique aux erreurs où les nations orientales croupissent depuis tant de siècles [1].

  1. Voyez ci-dessus la citation (52) de l’article Brachmanes, tome IV, pag. 101.

FRANÇOIS Ier.[* 1], roi de France, a été un de ces grands princes dont les belles qualités sont mêlées de plusieurs défauts. Les historiens français [a] reconnaissent ce mélange avec la dernière sincérité ; et il y en a même qui se plaignent de ce que les écrivains espagnols, au lieu de le reconnaître, affectent de donner à ce monarque l’éloge d’un prince accompli (A). De part et d’autre cette conduite pourrait bien être trop artificieuse ; mais il semble qu’elle l’est moins du côté des auteurs français, que du côté des espagnols ; car il n’y a guère que des aveugles qui ne puissent voir clairement dans le règne de François Ier. une longue suite de fautes et d’imprudences. Peu s’en fallut que ce prince ne se dépouillât lui-même du droit de succéder à Louis XII. Il en pre-

  1. * « Cet article, dit Leclerc, est plein de faits nullement prouvés. Les témoignages de Brantôme, de Mézerai, de Varillas, etc., ne sont de nul poids. La discussion de tout ceci me mènerait trop loin de beaucoup. » Gaillard a donné une Histoire de François Ier. 1766-69, 7 vol. in-12, 1769, 8 vol. in-12 ; 1818, 5 volumes in-8o. ; 1819, 4 volumes in-8o. La Bibliothéque historique de la France mentionne beaucoup de lettres ou ouvrages de François Ier. et indique quels sont ceux qui sont imprimés, et où ils le sont. Deux lettres, jusqu’alors inédites, de François Ier. à sa mère, et écrites de sa prison, en Espagne, ont été imprimées pour la première fois dans l’ouvrage ayant pour titre : Mes voyages aux environs de Paris, par J. Delort ; 1821, 2 vol. in-8o. Voyez aussi ci-après la note ajoutée sur le texte, pag. 561.
  1. Beaucaire, Sponde, Mézerai, Varillas, etc.