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FERNEL.

[1] lorsqu’ils disent dans sa Vie, qu’il avait soixante-douze ans quand il mourut : ce qui est très-faux ; car je vous assure qu’il n’en avait que cinquante-deux, ce que j’ai ouï dire à feu M. de Villeray, maître des requêtes, fils d’une fille de Fernel, laquelle n’est morte qu’en 1642. Je l’ai aussi ouï dire à d’autres de ses parens ; et c’est une tradition toute claire dans sa famille : mais sans la tradition qui n’est pas toujours assurée, j’en ai deux preuves très-certaines : l’une est tirée des registres de notre faculté, que j’ai eus entre mes mains, tandis que j’ai été doyen, où il est expressément remarqué que Fernel mourut le 26 avril 1558, anno ætatis 52. L’autre preuve est dans son épitaphe, à Saint-Jacques de la Boucherie, que j’ai fait voir à une infinité de personnes, où il est encore marqué qu’il mourut à l’âge de cinquante-deux ans. L’auteur de cette épitaphe y est nomme Philippus [2] Barjotius, Fernelii gener, qui était un maître des requêtes et président au grand conseil, son premier gendre ; le second fut M. Gilles de Riant, président au mortier, qui est mort l’an 1597, sa veuve lui ayant survécu quarante-cinq ans[* 1]. » Il est difficile de combattre les autorités que Guy Patin a produites. S’il n’alléguait que l’épitaphe, sa preuve ne serait pas aussi décisive qu’il l’a prétendu ; car qui sait si le graveur n’a pas oublié deux xx ; ce qui réduirait soixante-douze à cinquante-deux ? Il a pu se tromper plus aisément, s’il s’est servi de chiffres au lieu de lettres, un 5 pour un 7 est bientôt mis. Ceux qui savent qu’un auteur qui corrige ses épreuves ne s’aperçoit pas quelquefois que ses imprimeurs ont prodigieusement altéré ses chiffres ou ses lettres numéraires[3], ne s’étonneraient pas que la faute du graveur n’eût pas été aperçue du gendre de Jean Fernel. Mais, comme je l’ai déjà dit, les autorités alléguées par Guy Patin ne sont pas réduites au seul témoignage de l’épitaphe. Je ne laisserai pas de lui opposer deux choses. 1o. Je ne comprends guère qu’un disciple de Fernel, qui a passé dix années de confidence avec lui, soit dans l’erreur d’une façon si énorme à l’égard de l’âge de son maître ; s’y tromperait-il de vingt ans ? et composerait-il sa vie sans s’informer un peu mieux de l’âge qu’il lui faut donner ? 2o. Si ce disciple erre à l’égard de l’âge ; il faut qu’il se trompe sur bien d’autres choses : il ment lorsqu’il conte que Fernel commença tard ses études[4] ; et il n’est pas vrai que Fernel ait étudié deux ans au collége de Sainte-Barbe, et puis en son particulier avec tant d’application, qu’il gagna une fièvre quarte qui fut fort longue, et qui l’obligea à s’en aller à la campagne[5]. Comment serait-il possible qu’ayant recouvré ses forces il fût revenu à Paris, et qu’après avoir délibéré sur la profession à embrasser, il eût régenté deux ans au collége de Sainte-Barbe ? comment, dis-je, cela serait-il possible, puisque nous savons qu’en 1526[6] il fit imprimer des livres de mathématique ? Or, en prenant les choses au pis, on ne saurait supposer que ces livres aient paru que pendant qu’il régentait. Où trouverons-nous le temps nécessaire selon le récit de Plantius, s’il est vrai que Fernel soit mort à l’âge de cinquante-deux ans ? N’aurait-il pas été auteur d’un livre d’astronomie à l’âge de vingt ans[7] ? Cela peut-il convenir à un écolier qui commence tard sa grammaire et sa rhétorique ? Et il faut bien prendre garde qu’au temps de Fernel un écolier qui entrait en philosophie avant l’âge de vingt ans

  1. * Joly rapporte en l’honneur de Fernel un autre passage de Guy Patin, que Bayle n’a pu connaître, puisqu’il est dans l’Esprit de Guy Patin qui ne fut publié qu’en 1713.
  1. Patin a tort d’imputer cela aux auteurs de l’édition d’Utrecht ; car ils n’ont fait qu’imprimer la Vie de Fernel, composée par Guillaume Plaotius.
  2. Il fallait dire Philibert.
  3. Je le sais par expérience.
  4. Jam natu grandis quùm sub triviali magistro grammaticam didicisset, etiamsi mater rebus eum curisque domesticis potiùs quàm litteris tam sero destinandum contenderet. Plantius, in Vitâ Fernelii, initio.
  5. Febre quartanâ tandem corripitur, quâ crudeliter ac diu conflictatus cœptum studiorum cursum interrumpere, utque salubriore aëre frueretur solum vertere cogitur. Idem, ibid.
  6. Gesner., in Biblioth.
  7. Le livre qui, selon Gesner, fut imprimé à Paris, l’an 1526, avait pour titre : Monalosphærium.