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FERNEL.

la vie active, et dans l’exercice de sa profession, que dans le repos[1]. Il ne renvoyait jamais les malades qui venaient implorer son assistance, quelque pauvres qu’ils fussent ; et il en venait un si grand nombre pendant l’été, qu’il n’avait pas le loisir de s’asseoir à table ; il dînait debout. Tantus ægrorum numerus ad eum confugiebat, ut per totam ferè æstatem stans prandere cogeretur : neminem quantumlibet pauperem à se abire dimittebat morbi quo angeretur ignarum, remediisque ad eum profligandum destitutum[2]. Quand on l’exhortait à se donner quelque relâche, il répondait que la mort lui donnerait un assez long temps pour se reposer. Quòd si illum nonnunquàm de curandâ corporis sui valetudine, deque nocturnis studiis intermittendis, commonefacerem, et ad quiescendum cohortarer, (erat enim somni parcissimus) responsum in promptu habere solebat,

Longa quiescendi tempora fata dabunt.

Les femmes de tels médecins sont fort à plaindre lorsqu’elles aiment leurs maris, et qu’elles ne sont point avares ; car l’indifférence et l’avarice peuvent trouver de bons dédommagemens dans cette absence du mari.

(C) Nonobstant les oppositions de sa femme. ] Il n’est pas difficile de deviner pourquoi sa femme ne consentait pas à ces sortes de leçons : elles l’empêchaient de voir les malades, et ainsi elles diminuaient notablement le profit quotidien de sa pratique. Son historien ne s’est point tu sur ce dommage : quod onus... uxore, amicis omnibus, et ægrorum curis reclamantibus, vel magno rei domesticæ dispendio suscepit[3].

(D) On l’appela à la cour, pour voir s’il pourrait guérir une dame dont l’on désespérait de la guérison. ] Ceux qui croiraient que l’historien a eu en vue la stérilité de Catherine de Médicis s’abuseraient lourdement ; et tout le monde me l’avouera, si l’on considère comment il s’exprime[4] : Nec absolverat ejus commentationis explicationem, cùm in gravissimo mulieris nobilissimæ [5] casu ad aulicos quasi edicto regio rapitur. Pervagabatur enim incredibilis ad hujus imperii proceres de Fernelii eruditione fama et persuasio, quasi unus esset è Galliæ medicis calamitosi illius morbi perstrenuus oppugnator, et impendentis mortis fortissimus vindex, malorumque depulsor, quasi Hercules Alexicacus : quam ille opinionem de se strenuè sustinuit, ut non tam sit creditus mulierem in vitâ retinuisse, quàm jam profligatâ salute ex inferorum faucibus revocâsse. Premièrement on peut douter s’il s’agit ici en quelque manière de Catherine de Médicis ; en second lieu on ne peut douter qu’il ne s’agisse de toute autre chose que de la stérilité. Si l’auteur a voulu parler de cette princesse, qui était alors dauphine, n’est-il pas étrange qu’il l’ait désignée par le nom vague de femme de grande noblesse ? N’est-il pas étrange qu’il ait dit qu’elle était très-chère au dauphin[6] ? Si ce n’était point la dauphine, l’expression est bonne et à propos : ce pouvait être une maîtresse : ce pouvait être une dame pour qui le dauphin avait beaucoup d’amitié ; mais si c’était son épouse, l’historien s’explique impertinemment. On suppose toujours dans les récits de cette nature qu’un mari aime sa femme, qu’il s’intéresse extrêmement à la guérison de sa femme, qu’il a une extrême reconnaissance pour les médecins qui la guérissent. Il suffit donc de marquer que la malade est sa femme ; et si l’on veut se servir de l’épithète charissima, tenerrima, c’est après avoir employé le mot uxor, ou conjux, qu’il le faut faire. D’où je conclus que cet auteur ayant écrit sensément et éloquemment, ne se serait point exprimé comme il a fait, s’il eût eu dessein de parler d’une mala-

  1. Erat hoc robore animi, atque hâc indole virtutis, et continentiæ, ut respueret omnes voluptates, omnemque vitæ suæ cursum in labore corporis atque in animi contentione conficeret ; quem non quies, non remissio, non æqualium studia, non ludi, non convivia delectarent, nihil in vitâ expetendum putaret, nisi quod esset cum laude, et honore, et cum dignitate conjunctum. Plantius, in Vitâ Fernelii.
  2. Idem, ibidem.
  3. Idem, ibidem.
  4. Plantius, in Vitâ Fernelii.
  5. Il ne faut avoir nul égard au sommaire que l’un voit à la marge, reginam curavit, car ce sont apparemment les libraires qui l’ont fait mettre.
  6. Henrico Gallicarum regi designato cui illa charissima erat.