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EURIPIDE.

rite. Il assure même à l’égard du premier fait, que l’on en jugea dans Athènes comme il en juge. Nec Euripides quidem Athenis, dit-il [1], arrogans visus est, cùm postulante populo, ut ex tragœdiâ quandam sententiam tolleret, progressus in scenam, dixit : Se, ut eum doceret, non ut ab eo disceret, fabulas componere solere. Laudanda profectò fiducia est, quæ æstimationem sui certo pondere examinat, tantùm sibi arrogans, quantum à contemptu et insolentiâ distare satis est. Itaque etiam quod Alcestidi tragico poëtæ respondit, probabile ; apud quem cùm quereretur, quôd eo triduo non ultra tres versus maximo impenso labore deducere potuisset, atque is se centum perfacilè scripsisse gloriaretur : Sed hoc, inquit, interest, quod tuî in triduum tantummodò, meî verò in omne tempus sufficient. Alterius enim fœcundi cursus scripta intra primas memoriæ metas corruerunt, alterius cunctante stylo elucubratum opus per omne œvi lempus plenis gloriæ velis feretur. Personne n’est obligé d’assujettir son franc arbitre au jugement de cet écrivain latin, ni de croire sur sa parole qu’on reçut en bonne part dans Athènes la déclaration désobligeante d’Euripide. On ne doit donc pas être surpris que le Giraldi, se servant de ses lumières, ait trouvé trop de fierté et trop d’amour-propre dans ces réponses du poëte grec. Il n’est blâmable qu’en ce qu’il a prétendu que l’auteur latin les a rapportées comme une preuve d’orgueil. C’est du moins la faute que M. Barnes lui a reprochée [2] ; après quoi il a fait cette réflexion sur la dernière partie du passage de Valère Maxime : Verè hæc quidem Valerius : nam quùm hodiè ne tres quidem versus nedum unicus ullus ex innumeris jactabundi istius poëtæ extemporanei versibus superesse videatur, sed neque ullum illorum vestigium ad Valerii ætatem perduravit, ad quam tamen omnia Euripidis opera salva et integra permanserunt, etiam post Valerii tempora jam mille et octingentos annos supersunt plures istius fabulæ integræ, quam omnes Æschyli, Sophoclis, et Aristophanis tragœdiæ et comœdiæ simul sumptæ. Il me semble qu’on pourrait censurer deux choses dans ce discours. L’une est, que Valère Maxime ayant vécu sous Tibère, on ne peut pas dire l’an 1694, qu’il vivait il y a dix-huit cents ans. L’autre qu’il nous reste sept tragédies d’Eschyle, autant de Sophocle, et onze comédies d’Aristophane. Toutes ces pièces jointes ensemble surpassent en nombre les vingt tragédies d’Euripide qui nous restent.

(DD) On l’a accusé d’avoir maltraité Médée par complaisance pour les Corinthiens. ] Ce furent, dit-on, les Corinthiens qui tuèrent les fils de Médée, et qui, long-temps après, engagèrent Euripide à supposer qu’elle-même les avait tués. On ajoute qu’à cause de la grande réputation de ce poëte, la fiction prévalut sur la vérité [3], et que la ville de Corinthe se déchargea de l’infamie de son crime sur la mémoire de l’innocente Médée. L’auteur que je cite ne dit point qu’il en ait coûté autre chose aux Corinthiens que des prières, pour obtenir cette translation d’infamie ; mais d’autres assurent qu’il leur en coûta cinq talens. C’est la somme qu’ils donnèrent à Euripide, si l’on en croit Parméniscus [4]. Il y a plusieurs auteurs qui ont dit que Médée ne tua point ses enfans, et qu’au contraire, ne pouvant les emmener avec soi quand elle s’enfuit de Corinthe, elle eut soin de les mettre dans un temple, où elle espéra qu’ils trouveraient un asile inviolable, mais que les Corinthiens les y massacrèrent [5]. On allègue [6], pour justifier Euripide, qu’il n’a pas été le premier qui ait accusé Médée du meurtre

  1. Val. Maxim., lib. III, cap. VII, ext, num. 1.
  2. Lilius Gyraldus incogitanter nimis dixit quòd poëtam nostrum arrogantem et superbum Valerius Maximus prodat, quùm tamen nobilis is author in eo capite et loco quem Gyraldus designat, nihil omninò tale, imò planè contrarium statuat. Barnes., in Vitâ Euripidis, pag. 20.
  3. Ælian., Var. Hist., lib. V, cap. XXI.
  4. Apud Scholiasten Euripidis, in Medæam, vs. 9. M. Barnes, pag. 15, assure que Plutarque, dans la Vie d’Alexandre, rapporte la même chose, l’empruntant de Parméniscus. Je n’ai point trouvé cela dans Plutarque.
  5. Parmeniscus et Didymus, apud Scholiasten Euripid., ibid., vs. 273. Didymus cite Créophylus. Voyez Elien, Var. Hist., lib. V, cap. XXI, et Apollodore, Biblioth., lib. I.
  6. Barnes., in Vitâ Euripid., pag. 15.