Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique, 1820, T06.djvu/378

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
368
EURIPIDE.

ματι γυμνῇ τῇ κεϕαλῇ ἐγκυκλεῖ τῷ θεάτρῳ τοὺς Θεούς.

Πῶς οὖν δίκαιον, τοὺς νόμους ὑμᾶς βροτοῖς
Γράψαντας, αὐτοὺς ἀδικίας ὀϕλισκάνειν ;
Εἰ, δ᾽ οὐ γὰρ ἔςαι, τῷ λόγῳ δὲ χρήσομαι
Δίκας βιαίων δώσετ᾽ ἀνθρώποις γάμων,
Σὺ καὶ Ποσειδῶν, Ζεὺς θ᾽̓ ὃς οὐρανοῦ κρατεῖ,
Ναοὺς τίνοντες ἀδικία κενώσετε.


Jam verò in dramate, cui nomen est Ion, capite nudo Deos in theatrum inducit.

An hoc videtur, qui datis mortalibus
Leges, ut ipsi criminis sitis rei !
Quòd si (futurum quod quidem nunquàm reor)
Reddenda vobis ratio sit stupri et probri :
Neptunus, et tu, rexque Jupiter poli,
Templis relictis jure abibitis foras.


Le père Thomassin [1] a raisonné juste sur la contradiction qui se trouve dans la conduite des païens. Ils adoraient dans les temples les mêmes divinités que l’on bafouait impunément sur leurs théâtres.

Notez une grosse faute de Théophile Raynaud. Il dit que l’athée Euripide attaqua le philosophe Anaxagoras, à cause du dogme de l’unité de Dieu [2] : et il cite le VIe. chapitre du XIVe. livre de la Préparation évangélique d’Eusèbe. Il fallait citer le chapitre XVI ; mais cela n’eût point réparé la faute : car voici ce qu’a dit Eusèbe en abrégeant le récit qu’a fait Plutarque des opinions des anciens sur la nature de Dieu. Euripide n’osant marquer sa pensée, parce qu’il craignait l’aréopage, l’insinua en introduisant Sisyphe, qui niait qu’il y eût des dieux. Plutarque fait venir ensuite Anaxagoras, comme le premier qui eût eu des sentimens orthodoxes touchant la divinité. Voilà ce que dit Eusèbe [3].

(BB) Il est absurde d’imputer à l’auteur d’une tragédie les sentimens qu’il fait débiter par ses personnages. ] M. Barnes observe que, pour soutenir le caractère de Sisyphe, il a fallu qu’Euripide le fit raisonner comme un athée, et qu’ainsi Plutarque n’a point eu raison de trouver là une ruse d’écrivain ; la ruse, dis-je, de débiter sûrement, sous le nom d’autrui, ses propres pensées [4]. Miror autem plurimùm quid tanto viro persuaserit hæc vafrè ab Euripide dicta sub Sisyphi personâ, et poëtæ ipsius esse sensus, cùm nemo unquàm extitit nostro poëta pientior, ut ex innumeris ejus locis colligi potest, et Sisyphi characterem maximè docuit impiè loqui : ut observavimus ad Bellerophon. [5] v. 8. Grotius a dit judicieusement [6], Multa in tragœdiis sunt non ex poëtæ sensu dicta sed congruenter personæ quæ loquens inducitur. Voyez la chimère de la cabale de Rotterdam démontrée [7], et ce que nous avons dit dans la remarque (Q) de l’article Érasme, page 235.

(CC) Deux choses... peuvent recevoir un bon et un mauvais tour. ] Un jour le peuple d’Athènes souhaita qu’il retranchât un certain endroit de l’une de ses tragédies : il se présenta sur la scène pour dire au peuple : Je ne compose point mes ouvrages afin d’apprendre de vous, mais afin de vous enseigner. Il se plaignit une fois au poëte Alcestis que, pendant les trois derniers jours, il n’avait pu faire que trois vers, quoiqu’il eût travaillé de toutes ses forces. L’autre lui répondit avec un grand air de vanité, qu’il en avait fait une centaine fort aisément : mais, reprit Euripide, il y a cette différence entre les miens et les vôtres, que les miens perceront toute l’étendue des siècles, et que les vôtres ne dureront que trois jours. Valère Maxime a interprété tout ceci fort favorablement : il n’y a trouvé aucune trace d’orgueil : il n’y a trouvé que la confiance raisonnable qu’un grand homme doit avoir en son mé-

  1. Méthode de lire chrétiennement les poëtes, tom. I, pag. 173.
  2. Quin etiam Euseb., 14 Præpar., cap. 6, refert Anaxagoram ab Euripide Atheo idcircò impugnatum. Theoph. Raynaud., Theol. Natur., distinct. V, num. 155, pag. m. 525.
  3. Euseb., Præp., lib. XIV, cap. XVI, pag. 753.
  4. Barnes., Not. in Euripid. Sisyphi Fragm., pag. 492.
  5. Les fragmens de cette pièce contiennent le discours d’un homme qui nie tout net la providence, sous prétexte que les méchans sont plus riches que les gens de bien.
  6. In præfat. ad Excerpta, apud Barnes., in Vitâ Euripid., pag. 22.
  7. À la préface, pag. 110.