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EURIPIDE.

ne [1] à l’occasion de sa Phèdre. Notez que dans le Ménagiana on confond les deux affaires qui furent faites à Euripide ; car on y assure [2], que les cinq juges établis chez les Athéniens, pour régler les différens qui pouvaient naître au sujet de la comédie... ayant [3] un jour cité Euripide pour rendre compte d’un vers de quelqu’une de ses pièces, où il faisait dire à un acteur qu’il avait juré de la langue et non pas de l’esprit, Euripide se défendit en disant qu’ils attendissent à la fin de la pièce, et qu’ils verraient que cet acteur serait roue.

(Z) On s’offensa tellement des deux premiers vers de sa Ménalippe,..... qu’il fut obligé de changer cela. ] La preuve de ceci se voit dans Plutarque : Je rapporterai ses paroles un peu au long, parce qu’elles nous apprennent le poids que le paganisme donnait à la tradition [4] quand il s’agissait des preuves de l’existence divine. Plutarque avoue assez nettement qu’il y avait du danger à ne se point tenir ferme sur cette preuve, et qu’il était difficile d’en donner de plus certaines. Les philosophes d’aujourd’hui ne sont pas réduits à cet embarras ; ils donnent des preuves très-évidentes, et tout autrement démonstratives que ne le peut être la tradition. Mais laissons parler Plutarque [5] : « Tu me sembles toucher une grande et hardie question, ou, pour mieux dire, remuer un point auquel on ne deust aucunement toucher, c’est l’opinion et creance que nous avons des dieux, en nous demandant la preuve et la raison de chacun d’iceux. Car l’ancienne foi et creance, que nous en avons de nos ancestres en ce païs, nous doit suffire, ne s’en pouvant dire ne imaginer de plus suffisante ne plus évidente preuve.

» Dont sens humain par subtile finesse,
» N’inventa onc la profonde sagesse.


» Ains estant ceste tradition le fondement et la base commune le toute religion, si la fermeté et la creance d’icelle reçeuë de main en main vient à estre esbranlée et remuée en un seul point, elle devient suspecte et douteuse en tous les autres. Tu peux bien avoir ouï dire comment Euripide fut sifflé et rabroué pour le commencement de sa tragedie Menahippe qu’il avoit ainsi commencée,

» O Jupiter, car de toi rien sinon

» Je ne connais seulement que le nom.
» Il se fioit fort de ceste tragedie-là, comme estant magnifiquement et exquisement bien escrite, mais pour le tumulte et murmure qu’en fit le peuple, il changea les premiers vers ainsi comme il se lit maintenant,

» O Jupiter, combien en vérité
» Ce nom convient à la divinité.

(AA) Quelques-uns le font passer pour athée. ] Plutarque entre les anciens, et Brown [6] entre les modernes, ont parlé ainsi d’Euripide. Voyez la remarque (H) de l’article Critias. Aristophane dit une chose qui me fait songer à la crainte que certaines gens eurent dans Éphèse, au sujet des prédicateurs de l’Évangile [7]. Il introduit [8] une veuve qui avait gagné sa vie à vendre des bouquets sacrés ; mais, disait-elle, depuis qu’Euripide a persuadé aux hommes, par ses vers impies, qu’il n’y avait point de dieux, je ne vends presque plus rien. Prenez bien garde que les dieux du paganisme étaient si risibles, qu’on pouvait bien, sans être athée, les tourner en ridicule. Ainsi le passage d’Euripide, rapporté par Clément Alexandrin, ne prouve rien : j’entends celui où ce poëte dit que, si les dieux étaient appelés à rendre compte de leurs adultères, Neptune et Jupiter même évacueraient leurs temples, en exécution de la sentence qu’on prononcerait contre eux ; mais, ajoute-t-il, je ne pense pas qu’on en vienne jamais là [9] : Ἤδη δὲ ἐν Ἱώνι τῷ δρά-

  1. In Ranis, act. IV, scen. II, pag. m. 243.
  2. Ménagiana, pag. m. 119.
  3. Là même, pag. 120.
  4. Voyez les Pensées diverses sur les Comètes, num. 137.
  5. Plutarch., in Amatorio, pag. 756 : je me sers de la version d’Amyot.
  6. Relig. Medici, sect. XLVI. Vide notas in eum locum.
  7. Actes des apôtres, chap. XIX, vs. 24 et suiv.
  8. In Thesmophorias, pag. m. 777.
  9. Clem. Alexandrin., Admonit. ad Centes, pag. 50.