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EURIPIDE.

(F) De bons connaisseurs... le regardent comme le plus accompli de tous les poëtes tragiques. ] J’ai dit ailleurs [1] qu’il y a partage parmi les critiques, sur la primauté d’Eschyle, de Sophocle et d’Euripide. Chacun de ces poëtes a des partisans qui lui donnent la première place : il y a aussi des connaisseurs qui ne veulent rien décider. Quintilien semble choisir ce parti : cependant il est aisé de connaître, qu’à tout prendre, il donne la principauté à Euripide. Voici ce qu’il dit [2] : Longè clariùs (quàm Æschylus) illustraverunt hoc opus Sophocles atque Euripides : quorum in dispari dicendi viâ uter sit poëta melior, inter plurimos quæritur. Idque ego sanè, quoniam ad præsentem materiam nihil pertinet, injudicatum relinquo. Illud quidem nemo non fateatur necesse est, iis qui se ad agendum comparant, utiliorem longè Euripidem fore. Namque is et in sermone (quod ipsum reprehendunt, quibus gravitas et cothurnus et sonus Sophoclis videtur esse sublimior) magis accedit oratorio generi ; et sententiis densus ; et in iis quæ à sapientibus tradita sunt, penè ipsis par ; et in dicendo ac respondendo, cuilibet eorum qui fuerunt in foro diserti, comparandus. In affectibus verò cùm omnibus mirus, tùm in is qui miseratione constant, facilè præcipuus, Hunc et admiratus maximè est (ut sæpè testatur) et secutus, quamquam in opere diverso, Menander. M. Barnes a recueilli [3] plusieurs éloges que les plus savans hommes de l’antiquité ont donnés à Euripide. Consultez-le, vous verrez que si ce poëte n’a pas égalé Sophocle dans la majesté et dans la grandeur, il a compensé cela par tant d’autres perfections, qu’il peut aspirer au premier rang. Nous verrons bientôt que c’est suivant les conclusions d’un oracle. Les partisans de Sophocle se glorifient du jugement de Lucien : ils disent qu’il a pesé dans une balance les vers de Sophocle et ceux d’Euripide, et qu’il a trouvé les premiers plus pesans que les derniers, et par conséquent plus excellens, comme le bon or est plus pesant que le faux or. Lucianus sophista, qui auctore Lactantio nec diis nec hominibus pepercit unquàm, in librili suspendit carmina tragicorum poëtarum, Sophoclis scilicet et Euripidis, comminis citurque Sophoclis versus tanquam plus gravitatis habentes terram petere, Euripidis verò veluti leviores ad cœlum tendere, tanquàm in tragico scribendi genere Sophocles sit Euripidi præferendus. Nec mirum igitur si Virgilius ait,

Sola Sophoclæo tua carmina digna cothurno,


hoc est gravi et excocto, plus habente medullæ quàm corticis, gravitatis quàm levitatis [4]. M. Barnes a cherché cela inutilement dans Lucien [5] ; et, quoi qu’il en soit, il prétend qu’on n’a point compris l’intention de cet auteur : il la croit plus favorable à Euripide qu’à Sophocle : il croit que Lucien s’est réglé sur ce qu’on lit dans Homère [6] touchant la destinée d’Achille, et la destinée d’Hector, mises dans une balance de Jupiter. Celle d’Achille, comme supérieure, tendit vers le ciel ; celle d’Hector tendit vers la terre. Ma conjecture est qu’on a pris Lucien pour Aristophane [7]. C’est Aristophane [8] qui suppose que Bacchus faisant mettre dans une balance un vers d’Euripide contre un vers d’Eschyle, trouva toujours que celui d’Eschyle pesa davantage. Or il est certain que le but d’Aristophane, dans cette pièce, est de faire voir que le premier rang parmi les poëtes tragiques était dû à Eschyle, et le second à Sophocle. C’est ce que j’observe contre l’explication de M. Barnes.

(G) Les syllabes de son nom ne..... pouvaient.... entrer dans les vers latins. ] Floridus Sabinus, répondant à Béroalde, qui avait médit d’Euripide, se sert entre autres observations de

  1. Dans l’article d’Eschyle, remarque (K) pag. 268.
  2. Instit. Orator., lib. X, cap. I, pag. m. 468, 469.
  3. In Vitâ Euripidis, num. 20, 21.
  4. Johan. Baptista Pius, Annotat. posterior., cap. XXVIII, apud Barnes., in Vitâ Euripidis, pag. 19. Thomas Stanleius, Comment., in Æschyl., folio 701, et Lilius Gyrald, Poët. Hist., dialog. VII, sont aussi cités par Barnes, là même.
  5. Je ne crois pas que Lucien ait fait mention de cela. M. Drelincourt m’a écrit qu’on peut décider hardiment que Lucien n’en a rien dit.
  6. Iliad., χ, vs. 212.
  7. Cœlius Rhodigin., lib. XXIV, cap. X, est apparemment la source de la méprise.
  8. In Ranis, act. V, sc. III.