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EURIPIDE.

lui firent concevoir de l’aversion contre tout le sexe [a]. Quoi qu’il en soit, il fut très-bien accueilli à la cour d’Archélaüs. Ce prince aimait les savans, et les attirait par ses libéralités. Il éleva Euripide à de grands honneurs (N). L’âge de ce poëte, et la chasteté que plusieurs lui attribuent, font qu’il ne faut pas croire légèrement ce que l’on conte de ses aventures de Macédoine (O). Il y fit une fin tragique : il se promenait dans un bois, et à sa manière il méditait profondément. Sa rêverie le mena sans doute trop loin : il fut rencontré un peu à l’écart par les chiens du prince qui était alors à la chasse. Ces maudits chiens le déchirèrent en pièces. Archélaüs le fit enterrer magnifiquement (P). La nouvelle de sa mort affligea de telle sorte les Athéniens, que toute la ville en prit le deuil [b]. Un de ses anis, nommé Philémon en fut si touché, qu’il déclara que s’il croyait, comme quelques-uns l’assurent, que les morts conservent le sentiment, il se pendrait pour aller jouir de la vue d’Euripide (Q). Ce grand poëte avait près de soixante-quinze ans lorsqu’il mourut. On a rapporté diversement les circonstances de sa mort (R). Il ne fut jamais avec Platon en Égypte (S), quoi qu’en dise M. le Fèvre. Il ne nous reste qu’une vingtaine de ses tragédies ; bien qu’il en eût composé quatre-vingt douze [c]. Il aimait à débiter plusieurs sentences (T) pleines d’une bonne morale, et il se peignait lui-même par-là ; car c’était un homme sévère et grave, et indifférent pour les plaisirs. Il s’enfermait dans une affreuse caverne pour y composer ses ouvrages (U). Mais au reste toutes ses maximes n’étaient pas bonnes. Il en débita une sur la religion du serment (X), qui parut si cavalière, qu’on lui en fit un procès. Dans une autre rencontre il dogmatisa si gravement pour les avares, que toute la compagnie s’en émut (Y). Une autre fois on s’offensa tellement des deux premiers vers de sa Ménalippe, qui semblaient attaquer l’existence du plus grand des dieux (Z), qu’il fut obligé de changer cela. Il a débité quelquefois des propositions impies : c’est le fondement sur quoi quelques-uns le font passer pour athée (AA). Je n’entre pas dans la discussion de ce point de fait ; je dis seulement en général, qu’il est absurde d’imputer à l’auteur d’une tragédie les sentimens qu’il fait débiter par ses personnages (BB). La manière dont Euripide reçut les avis du peuple, sur la correction d’un endroit de ses tragédies, et ce qu’il répondit à un poëte qui se glorifiait de composer aisément, sont deux choses qui peuvent recevoir un bon et un mauvais tour (CC). On l’a accusé d’avoir maltraité Médée par complaisance pour les Corinthiens (DD). Il n’est pas vrai qu’il y eût dans son Palamède quelque reproche tacite touchant la mort de Socrate (EE). Je n’étonne que si peu de gens fassent mention d’une chose qu’on

  1. Aulus Gellius, lib. XV, cap. XX.
  2. Thomas Magister, in Vitâ Euripidis.
  3. Suidas, qui le rapporte, dit aussi que selon d’autres il n’en composa que 75. M. Barnes a trouvé le titre de 84 pièces d’Euripide. Voyez son édition, pag. 55.