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EURIPIDE.

quand il eut vu les persécutions qu’Anaxagoras souffrit pour avoir dogmatisé contre l’opinion populaire, il abandonna la philosophie, et s’appliqua à la poésie dramatique [a]. Il était alors âgé de dix-huit ans [b]. Que ceci ne nous porte point à croire qu’il négligea dans la suite de sa vie l’étude de la morale et de la physique : ses ouvrages témoignent tout le contraire (E). Il composa un grand nombre de tragédies qui furent fort estimées, et pendant sa vie et après sa mort ; et l’on peut nommer de bons connaisseurs qui le regardent comme le plus accompli de tous les poëtes tragiques (F). Ceux qui croient que si les poëtes de Rome n’ont guère parlé de lui, c’est à cause que les syllabes de son nom n’avaient pas la quantité qui le pouvaient rendre propre à entrer dans les vers latins (G), donnent une conjecture vraisemblable. Ses vers rendirent un très-grand service aux soldats athéniens, dans la Sicile (H), et c’est une preuve que ses pièces jouissaient d’une merveilleuse approbation, et néanmoins elles remportèrent le prix assez rarement (I). L’émulation et enfin l’inimitié qui s’éleva entre lui et le grand Sophocle (K), lui causa peut-être moins de chagrins que les moqueries d’Aristophane, qui se plaisait à le maltraiter dans ses comédies. On croit que la principale raison qui le porta à se retirer à la cour d’Archélaüs, roi de Macédoine, fut de voir les poëtes comiques divertir les Athéniens à ses dépens [c]. Il y a dans ses tragédies plusieurs rôles contre les femmes, et l’on ne saurait disconvenir qu’il ne se soit plu à médire du beau sexe. Cela fit qu’on lui affecta le titre d’ennemi des femmes [d] (L). Il se maria néanmoins (M), non-seulement avant que d’avoir éprouvé chez lui la vérité de ses lieux communs de théâtre, mais aussi après que la vie déréglée de sa première l’eut contraint de la répudier. La seconde qu’il épousa fut pour le moins aussi débauchée que la première [e]. Je ne sais avec laquelle des deux il trouva un jour l’un de ses propres comédiens ; mais il y a beaucoup d’apparence que ce fut avec la dernière, puisqu’on dit que l’ignominie à quoi cela l’exposait, et les railleries qu’en firent souvent les poëtes comiques, m’obligèrent à sortir d’Athènes [f]. Il y en a qui disent qu’ayant voulu se prévaloir de la permission que l’on donnait dans Athènes d’épouser deux femmes, il en prit deux tout à la fois, et les choisit si mal qu’elles mirent sa patience à bout, et

  1. Suidas, in Εὐριπίδης. Manuel Moschopulus, in Vitâ Euripidis. Voyez aussi Aulu-Gelle, lib. XV, cap. XX.
  2. Aulus Gellius, ibid.
  3. Thomas Magister, in ejus Vitâ.
  4. Μισογύνης, mulierum osor.
  5. Suidas, in Εὐριπίδης. Manuel Moschopulus, Thomas Magister, in Vitâ Euripidis.
  6. Φωράσας δε τὸν αὐτοῦ ὑποκριτὴν Κηϕισοϕῶντα ἐπὶ τῇ γυναικὶ, καὶ τὴν ἐντεῦθεν μὴ ϕέρων αἰσχύνην, σκωπτόμενος ὑπὸ τῶν κωμῳδοποιῶν ἀϕεὶς τὴν Ἀθήνησι διατριϐὴν εἰς Μακεδονίαν ἀπῆρε. Cæterùm quùm suum proprium histrionem Cephisophontem cum uxore deprehendisset, et contumeliam exindè partam minimè ferret, sæpè taxatus à comœdis, relictis Athenis in Macedoniam se contulit. Thom. Magister, in Vitâ Eurip.