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EUGÈNE IV.

vers ses ouvrages, de la laisser vivre, attendu qu’elle n’avait point péché malicieusement ; 6o. qu’ayant été exempte de la peine enfermée dans le décret de Dieu, elle pouvait retenir toutes les prérogatives de sa première condition [1], à la réserve de celles qui ne pouvaient compatir avec les infirmités à quoi Dieu les condamna ; 7o. qu’elle retint nommément la prérogative d’engendrer des enfans qui avaient droit à la béatitude éternelle, sous la condition d’obéir au nouvel Adam ; 8o. que comme le genre humain devait sortir d’Adam et d’Ève, Adam ne fut conservé en vie que parce que sa conservation était nécessaire pour la génération des enfans ; 9o. que ce fut donc par accident que l’arrêt de mort ne fut point exécuté contre lui [2] ; mais que d’ailleurs il fut châtié plus sévèrement que sa femme ; 10o. qu’elle [3] ne fut point chassée du paradis comme lui : qu’elle fut seulement obligée d’en sortir pour aller trouver Adam dans les cas de nécessité, et que c’était avec un plein privilège d’y retourner. 11o. Que les enfans d’Adam et d’Ève furent sujets à la mort éternelle, non en tant qu’ils venaient d’Ève, mais en tant qu’ils venaient d’Adam [4]. Ce sont à peu près les choses qui concernent Ève directement dans cet ouvrage. Ceux qui voudront voir les preuves et le but de cet auteur, et les conséquences qu’il tire de ces nouvelles pensées, feront bien de recourir à son livre.

On ne peut pas lui objecter comme au Lorédano, d’avoir contrevenu au decorum, en supposant qu’Ève allait trouver son mari, car c’était par une pure nécessité, puisqu’il n’était pas possible qu’Adam rentrât dans le paradis terrestre. Et d’ailleurs il y a beaucoup d’apparence que si l’on demandait à cet écrivain, la femme d’Adam se servait-elle du droit qui lui avait été conservé de séjourner dans le jardin d’Eden ? il répondrait que non. Qu’aurait-elle fait là toute seule ? Elle s’y serait bientôt ennuyée : les paysages les plus charmans, les jardins les plus délicieux, n’accommodent pas une femme qui n’y trouve aucune société, aucune sorte de compagnie. La solitude dans le plus beau lieu du monde est un grand fardeau, à moins qu’on ne soit philosophe, et homme contemplatif et méditatif. On doit donc croire que tant à cause de son intérêt personnel, qu’à cause que la raison l’exigeait, Ève eût préféré au séjour du paradis terrestre la cabane de son mari exilé. Le jardin d’Eden était pour elle partout où Adam établissait ses tabernacles [5]. C’était là où elle devait se fixer afin de lui être une aide selon le but de sa création, et afin de partager avec lui tous les soins de sa famille. Voyez la note [6].

  1. Cogitationes novæ de primo et secundo Adamo examini, etc., pag. 16.
  2. Ibidem, pag. 18.
  3. Ibidem, pag. 19, 20.
  4. Ibid., pag. 23. Voyez aussi pag. 60, 65, 140 et seq.
  5. Appliquez à cela ce qu’on a dit de Camille,

    ..........Tarpeia sede perustâ
    Gallorum facibus, Veiosque habitante Camillo,
    Illic Roma fuit................
    Lucan., Pharsal., lib. V, vs. 217.

  6. Notez que l’auteur suppose qu’Adam demeurait fort proche du Paradis terrestre et cela par l’ordre de Dieu.

EUGÈNE IV, créé pape le 3 de mars 1431, était d’une famille roturière de Venise [a], et fils d’Angélo Condelmério, mais non pas neveu du pape Grégoire XII (A), comme on le dit dans le Moréri. Il portait l’habit de célestin [* 1], lorsqu’il fut mené à Rome par le neveu de ce pape [b]. Ce neveu était aussi célestin, et chanoine de la congrégation de Saint-George in Algâ. Le confrère qu’il amena à Rome se rendit bientôt agréable à Grégoire XII, qui le fit son trésorier, et puis évêque de Sienne, et enfin cardinal. Martin V lui donna la légation du Picentin, et puis celle de Bologne. Ce car-

  1. * Leclerc observe qu’il ne fut jamais célestin, mais qu’il était de la congrégation des chanoines de Saint-Georges in Algâ.
  1. Platina, in Vitâ Eugenii IV.
  2. Platina, in Vitâ Eugenii IV.