Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique, 1820, T06.djvu/35

Cette page n’a pas encore été corrigée
25
DRUSILLE.

pas fournir un prétexte de le décrier, et de le ruiner à la cour, aussi spécieux que l’eût été de pouvoir dire qu’il avait chez lui une épouse qui faisait profession ouverte d’avoir en horreur les dieux pénates, et toute la religion romaine.

(B) La jalousie... régnait entre elle et Bérénice sa sœur. ] J’ai parlé de cette Bérénice : elle était belle et ambitieuse, galante et femme d’intrigue ; je ne m’étonne pas qu’elle n’aimât point sa sœur car c’était une sœur extrêmement belle, et moins âgée de dix ans que Bérénice. Celle-ci lui aurait cédé volontiers à cet égard son droit d’aînesse : en matière de beauté, dix ans de plus font un droit d’aînesse bien importun : on s’en passerait bien ; on l’échangerait sans peine contre la qualité de cadette ; mais on ne peut rien là-dessus contre la nature. La jalousie de Bérénice n’était pas un sentiment caché : Drusille en ressentait les effets : de sorte qu’elle fut bien aise de pouvoir être en état, par son mariage avec le gouverneur de Judée, homme de beaucoup de crédit auprès de l’empereur Claude [1], de disputer le terrain à Bérénice. Les anciens avaient un proverbe touchant la haine des frères, Fratrum inter se iræ sunt acerbissimæ [2] : je pense que la haine des sœurs est encore plus violente ; et si l’on peut dire que tous les temps appartiennent au siècle de fer, où l’amitié entre les frères était rare, Fratrum quoque gratia rara est [3], je crois qu’on le pourrait encore mieux dire par rapport à celle des sœurs. Trois choses, pour l’ordinaire, [4] empêchent leur jalousie, la grâce de Dieu, le défaut de qualités dignes d’envie, et un grand fonds de stupidité ; car si l’âge souffre qu’elles paraissent en même temps avec éclat par leur beauté, par leur esprit par leur fortune, il est presque impossible qu’elles s’aiment ; et vous ne sauriez plus mal faire votre cour auprès de l’une qu’en louant l’autre. Il y en a beaucoup qui ont l’adresse et la force de ne pas témoigner le chagrin que cela leur cause ; mais elles ne le sentent pas moins. La conclusion d’une lettre de M. de la Fontaine à madame la duchesse de Bouillon [5], sera la fin de cette remarque. » Ces moutons, madame, c’est votre altesse et madame Mazarin. Ce serait ici le lieu de faire aussi son éloge, afin de le joindre au vôtre ; mais comme ces sortes de parallèles sont une matière un peu délicate, je crois qu’il vaut mieux que je m’en abstienne :

« Vous vous aimez en sœurs ; cependant [6] j’ai raison
« D’éviter la comparaison :
« L’or se peut partager, mais non pas la louange :
« Le plus grand orateur, quand ce serait un ange,
« Ne contenterait pas en semblables desseins
« Deux belles, deux héros, deux auteurs ni deux saints. »


Cunéus raisonne bien sur le motif de la défense mosaïque d’épouser deux sœurs en même temps. In Levitici cap. XVIII, dit-il, [7], edictum Numinis extat, quo Judæiduas sorores eodem tempore habere uxores vetantur, non ob aliam causam projectò, quùm quod ardentissima esse inter has æmulatio in tali conjunctione solet ; cùm cæteræ omninò, quæ eâ consanguinitate non sunt, æquiore animo sub eodem marito ætatem unà agant.

(C) Il y a beaucoup d’apparence que Tacite s’est trompé sur le mariage de Félix. ] Voici ses paroles [8] : Claudius defunctis regibus aut ad modicum redactis judæam provinciam equitibus Romanis aut libertis permisit. E quibus Antonius Felix per

  1. Il était affranchi de cet empereur, Sueton., in Claud., cup. XXVIII, et frère de Pallas. Joseph., Antiq., lib. XX, cap. V. Tacit., Annal., lib. XII, cap. LIV. Pallas fut très-bien dans l’esprit de Claude. Sueton., ibid. Tacit., ibid.
  2. Erasme en commentant ce proverbe cite Aristote, Politic. VII, qui a dit Ὅθεν ἐίρηται, χαλεποὶ γὰρ πόλεμοι, Undè proverbio dicitur, acerba enim bella fratrum.
  3. Ovid., Metam., lib. I, vs. 145.
  4. Qu’on pèse bien ce mot ; car chacun peut connaître de très-bonnes et de très-belles exceptions à cette règle.
  5. Elle est imprimée au IIe. tome du Recueil des Pièces choisies, imprimé l’an 1688, et dans les Œuvres posthumes de M. de la Fontaine, pag. 85 et suiv., édit. d’Amsterdam, en 1696.
  6. En bien d’autres rencontres il vaudrait mieux dire c’est pourquoi, que cependant.
  7. Cunæus, de Republ. Hebr., lib. II, cap. XXIII, pag. m. 256. Voyez Polygamia triumphatix, pag. 373.
  8. Tacit., Hist., lib. V, cap. IX.