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ÈVE.

lata est ei Eva se doivent prendre au sens littéral, et que la pensée du rabbin est si claire qu’on doit s’étonner que certains auteurs chrétiens aient voulu la traîner à un sens allégorique. Salomon Iarchi [1], continue-t-il, l’a entendue littéralement.

(D) Léon Hébreu... s’imagine que l’homme n’eût jamais péché si les deux sexes... n’eussent été séparés. ] Léon Hébreu suppose que le serpent ne pouvait tromper la femme pendant qu’elle était jointe avec l’homme, ni tromper l’homme et la femme conjointement [2]. Ainsi la puissance de pécher fut une suite de la division des deux sexes ; division que Dieu avait faite pour de bonnes fins : savoir, afin que chacun des deux sexes servit d’aide à l’autre dans l’œuvre de la génération. Disons quelque chose des allégories que cet écrivain ajoute à cela. Il prétend [3] que chaque homme et chaque femme sont composés de partie masculine et de partie féminine. L’entendement est la partie masculine, la matière ou le corps est la partie féminine. Ces deux parties étaient de fort bonne intelligence au commencement : La corporité sensuelle féminine estoit obeyssante et servante à l’intellect et raison masculine : en sorte qu’il n’y avoit aucune diversité en l’homme, et la vie du tout estoit intellectuelle [4]. La défense de manger de l’arbre de science de bien et de mal signifiait qu’il ne fallait point qu’Adam détournât son intellect vers les actes de sensualité [5], ni vers l’acquisition des choses utiles ; car les objets sensuels, corporels et corruptibles, font que l’intellect qui y est trop adonné devient matériel et corruptible, c’est-à-dire subjet à peine et condamnation [6]. Toutefois, ajoute ce docteur juif, la divinité ne permit pas que l’obéissance de la partie corporelle féminine à l’intellectuelle masculine fût constante. Dieu prévit que l’union de ces deux parties ferait de plus en plus immortelle et parfaite l’essence de l’homme, mais que d’autre côté elle serait très-préjudiciable à la partie corporelle et féminine, tant à l’égard de l’individu qu’à l’égard de la propagation de l’espèce humaine ; car 1o. quand l’intellect s’enflamme en la cognition et amour des choses éternelles et divines, il abandonne le soin du corps, et le laisse mourir devant le temps. 2o. Ceux qui sont ardens aux contemplations intellectuelles, desprisent les amours corporels, et fuyent le lascif acte de la génération : tellement que ceste intellectuelle perfection causeroit la perdition de l’espèce humaine. C’est pourquoi Dieu délibéra de mettre quelque division tempérée entre la partie féminine sensuelle et entre la partie masculine intellectuelle, afin que [7] la sensualité tirât l’intellect à aucuns désirs et actes corporels, nécessaires pour la sustentation corporelle individuale, et pour la succession de l’espèce. Et c’est ce que signifie le texte, quand il dit : il n’est pas bon que l’homme soit seul, faisons-lui aide au-devant ou vis-à-vis de luy, c’est-à-dire que la partie sensuelle féminine ne fust pas tellement suyvante l’intellectuelle que elle ne luy feist quelque résistance, l’attirant aucunement aux choses corporelles, pour l’ayde de l’estre individual, et de l’espece. Pour ce qui regarde le sommeil où Adam tomba, et pendant lequel Dieu lui ôta une côte, pour en former Ève, notre auteur prétend que cela veut dire [8] que la veille intellectuelle première et l’ardente contemplation d’Adam fut interrompue, et que l’intellect commença à s’encliner à la partie corporelle, comme un mary à sa femme, et avoir soin tempéré de la sustentation d’icelle, comme de sa partie propre, et de la succession d’un semblable, pour sustentation de l’espèce : tellement que la division d’entre la moytié masculine et féminine fut faite pour bonne et nécessaire fin : et depuis survint la résistance de la matière féminine, et l’inclination de l’intellect masculin vers icelle, avec intempéré pourchas de la nécessité corporelle : et ne fut plus modérée

  1. In Postillâ Genes., ad hunc locum.
  2. Léon Hébreu, Philosophie d’amour, dial. III, pag. m. 616.
  3. Là même, pag. 618.
  4. Là même, pag. 619.
  5. Là même, pag. 620.
  6. Là même, pag. 621.
  7. Là même, pag. 622.
  8. Là même, pag. 623.