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ÈVE.

ter [1] que le serpent conçut de l’amour pour Ève, en la voyant sur le fait avec son mari, et qu’à cette vue il forma le noir complot de les séduire, sont beaucoup moins supportables que la prétendue sibylle, et que ces autres rabbins qui ont dit qu’Adam dormait pendant le dialogue d’Ève avec le serpent [2] ; et qu’il s’était endormi pour se délasser de ses corvées conjugales. Ces derniers rabbins ne laissent pas d’être fort extravagans. Nous en verrons d’autres dans la remarque suivante, qui, sans éviter la rêverie, établissent le fait que nous soutenons ici avec un père de l’église [3] ; c’est qu’Adam n’a songé à la célébration de ses noces que lorsqu’il n’a plus été dans le paradis : Nuptice terram replent, virginitas paradisum [4]. 2o. Évitons aussi l’extrémité opposée. Il y a des gens qui ont débité qu’Adam différa quinze ans, ou même trente ans, la consommation de son mariage. D’autres poussent la chose plus loin, et soutiennent qu’Adam et Ève, d’accord de partie, et pour pleurer leur péché, ne rompirent leur continence qu’au bout de cent ans. Les raisons qui réfutent cela sont fort bonnes, soit qu’on les tire du besoin que le monde avait alors d’être peuplé, et de la commission qu’ils avaient reçue de Dieu sur ce sujet ; soit qu’on les tire des dispositions où leur âge, la constitution de leur corps, et les premiers feux de la convoitise les devaient mettre. Probabiliter censet Torniellus in Annal. Caïn genitum esse mox post expulsionem Adæ et Evæ ex Paradiso, scilicet primo anno murdiet Adæ, tùm quia Adam et Eva creati sunt in staturâ perfectâ et habili ad generandum, tùm quia post peccatum mox acres libidinis et copulæ stimulos senserunt, tùm quia ipsi erant soli in mundo, et per eos Deus volebat statim propagari et multiplicari toto orbe genus humanum [5]. 3o. Ceux qui disent qu’Adam n’eut aucune part à cette continence de plusieurs années sont des rêveurs indignes d’être écoutés. Ils [6] supposent qu’il demeura excommunié, cent cinquante ans pour avoir mangé du fruit défendu, et qu’il vécut pendant ce temps-là avec une femme qui comme lui avait été formée de la terre, et qu’ils nomment Lilia. Ils ajoutent qu’il engendra les diables par son commerce avec cette femme, et qu’enfin lorsque son excommunication fut levée, il épousa Ève qui était sortie de sa tête, et engendra des hommes. Ce récit est plus confus que celui qu’on trouve dans d’autres livres [7] ; savoir qu’Adam voulant faire pénitence se tint éloigné d’Ève pendant cent trente ans, et s’attacha à une autre femme nommée Lilitha, de laquelle il n’engendra que des démons. Ce fruit était digne d’une pénitence si déréglée. Mais d’autre côté Épiphane fait mention d’une secte d’hérétiques [8], qui disait que le diable avait eu affaire avec Ève comme un mari avec sa femme, et qu’il en avait eu Caïn et Abel. Voyez ci-dessous la remarque (G). Voilà des compensations ; Adam quitte Ève pour faire des diables avec une autre femme, et le diable va trouver Ève pour faire des hommes avec elle. 4o. Mais ce qu’il faut principalement condamner, c’est l’erreur profane et libertine de ceux qui disent que l’arbre de science de bien et de mal n’était autre chose que le plaisir de l’amour : d’où ils concluent que la chute de nos premiers pères ne fut autre chose de la part de la femme, que l’envie de perdre sa virginité, et de la part de l’homme, que l’accomplissement de ce désir. Corneille Agrippa n’est pas le premier qui a débité cette sottise : les cathares, les manichéens, les priscillianistes, les basilidiens, l’avaient avancée depuis longtemps [9] ; et il paraît par le livre du comte de Gabalis que c’est un des dogmes de la cabale, et que les initiés et les adeptes n’expliquent pas autrement l’histoire de la tentation. Le sage démêle aisément ces chastes figures, dit cet auteur ; quand il

  1. Apud Rivinum, Serp. Seduct., pag. 27.
  2. Apud eumdem, pag. 77, 78.
  3. Hieronymus, lib. I in Jovin.
  4. Voyez la remarque suivante.
  5. Corn. à Lapide, in Genes., cap. IV, vs. 1.
  6. Apud Saint-Romuald, Abrégé du Trésor chronologique, tom. I, pag. m. 35.
  7. Voyez Heidegger, Histor. Patriarchar., tom. I, pag. 168.
  8. Epiph., Hæres. XL.
  9. Vide Hadrian. Beverlaud, de Peccato Origin., pag. 44, 45.