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EUDES.

ceux de Mégare une rage de disputer [* 1], par cette logique captieuse et sophistique qu’il leur apprit, que Socrate n’approuvait pas, parce qu’il n’y avait aucune sincérité dans sa manière. Ce fut Euclide, et son disciple Eubulide, qui inventèrent ces sophismes, lesquels furent depuis si fameux dans l’école dont Diogène Laërce fait mention[* 2], et qui après tout n’ont rien de réel que leur subtilité, comme, le dilemme, l’argument cornu, l’Électre, le sorite, ces interrogations mégariques si célèbres [1], dont parle Plutarque, et toutes ces chicanes de leur façon, qui rendirent la dialectique si méprisable à Athènes, que Socrate fut obligé de la traiter de ridicule, dans ses discours contre les sophistes, pour en détromper les esprits. Ce fut de cet Euclide que Démosthène apprit l’art du dilemme et ces manières pressantes qui le rendirent si véhément dans le caractère d’éloquence qu’il prit[2]. » Il y a six fautes dans ce passage. 1°. Socrate était mort quand la logique d’Euclide parut : il ne fut donc point en état de la blâmer. 2°. Le dilemme n’a point été mis par Diogène Laërce entre les sophismes qu’Euclide et Eubulide inventèrent. Je ne crois point que d’autres auteurs l’aient mis dans cette liste ; et dans le fond, il est faux que le dilemme soit un sophisme. C’est une aussi bonne manière de raisonner que le syllogisme ; et s’il y a des dilemmes faux, il y a aussi des syllogismes qui ont cette mauvaise qualité : mais, sous prétexte que l’on peut faire des syllogismes sophistiques, on se tromperait beaucoup, si l’on disait que le syllogisme est un sophisme. Appliquez tout cela au dilemme, et vous trouverez que notre père Rapiu s’est trompé, et quant à sa citation, et quant à la chose même. 3°. Si Socrate n’a pu désapprouver la dialectique d’Euclide, encore moins a-t-il pu traiter de ridicule celle d’Eubulide, disciple et successeur d’Euclide. 4°. Démosthène apprit d’Eubulide et non pas d’Euclide, l’art de raisonner. C’est ce qu’Apulée[3], et Diogène Laërce[4], témoignent. 5°. Après avoir mis le dilemme entre les sophismes qui rendirent la dialectique si méprisable à Athènes, que Socrate fut obligé de la traiter de ridicule, il ne fallait point le donner pour une cause de ce caractère d’éloquence qui fit admirer Démosthène[5]. 6°. Ce ne fut point par le dilemme, mais par l’enthymème, selon la notion des rhéteurs ; soit qu’on prenne l’enthymème selon la notion des rhéteurs, soit qu’on le prenne selon la notion des logiciens. Je passe au père Rapin la citation de Pierre Ramus. C’était Laërce qu’il eût dû citer.

Justifions la première de ces six censures. Il est certain que les disciples de Socrate ne fondèrent point d’école pendant la vie de leur maître, et qu’Euclide ne se retira d’Athènes qu’après la mort de Socrate[6]. Il se retira à Mégare en ce temps-là, et il devint fondateur d’une école de philosophie ; et par conséquent la dialectique qu’il enseigna, et à laquelle il donna un nouvel air de subtilité, fut postérieure à la mort de Socrate. Disons en passant qu’il reçut chez lui à Mégare, Platon et les autres philosophes d’Athènes[7], lorsque la même tyrannie qui avait fait périr Socrate les obligea à se retirer en un lieu de sûreté.

  1. (*) Λύσσαν ἐρισμοῦ. Ram., lib. I Dialect., cap. VII.
  2. (*) Diog., lib. II.
  1. Voyez tome V, pag. 164, la remarque (G) de l’article Chrysippe.
  2. Rapin, Réflexions sur la Logique, num. 3, pag. 372.
  3. Apuleius, in Apologiâ, pag. m. 283.
  4. Diogen. Laërt., in Euclide, lib. II, num. 108.
  5. Rien ne fut plus admirable dans cet orateur que la véhémence.
  6. Voyez Platon, in Phædone, où il dit qu’Euclide fut présent aux derniers discours de Socrate.
  7. Diogen. Laërt., lib. II, num. 106. Hesychius Illustrius, in Euclide.

EUDES, duc d’Aquitaine, contemporain de Charles Martel, se trouve mêlé dans les plus grandes affaires de son temps. On ne sait pas trop bien le détail de sa généalogie ; mais il y a quelque apparence qu’il était fils de Bertrand, duc d’Aquitaine,