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ÉPICURE.

vidua per inanitatem ferantur, alterum è regione moveatur, alterum declinet [1]. Il était facile, ce me semble, de l’embarrasser : Comment voulez-vous, lui pouvait-on dire, que la liberté de l’homme soit fondée sur un mouvement d’atomes qui se fait sans aucune liberté ? la cause peut-elle donner ce qu’elle n’a pas ? cent atomes qui se penchent sans savoir ce qu’ils font, peuvent-ils former un jugement par lequel l’âme se détermine avec connaissance de cause, au choix de l’un des partis qui se présentent ? Épicure eût pu connaître par-là combien il lui importait d’attribuer à chaque atome une nature animée et sensitive, comme il semble que Démocrite l’avait fait [2], et comme Platon avait supposé que la matière avait une âme avant même que Dieu eût construit le monde : Ἀκοσμία γὰρ ἦν τὰ πρὸ τῆς τοῦ κόσμου γενέσεως· ἀκοσμία δὲ, οὐκ ἀσώματος, οὐδὲ ἀκίνητον, οὐδὲ ἄψυχος ..... Ὁ γὰρ Θεὸς οὔτε σῶμα τὸ ἀσώματον, οὔτε ψυχὴν τὸ ἄψυχον ἐποίησεν. Fuit nimirum, antequàm mundus nasceretur, materies, non corporis eò, non motûs, non animæ expers..... Etenim Deus neque corpus de incorporeo, neque animam de inanimo redigit[3].

Il ne faut pas oublier ce que Cicéron rapporte, c’est que Carnéade inventa une solution bien plus subtile que tout ce que les épicuriens avaient forgé. Ce fut de dire que l’âme avait un mouvement volontaire dont elle était la cause. Acutiùs Carneades, qui docebat posse epicureos suam caussam sine hac commentitiâ declinatione defendere. Nam quùm doceret esse posse quendam animi motum voluntarium, id fuit defendi melius, quàm introducere declinationem, cujus præsertim caussam reperire non possunt : quo defenso, facilè Chrysippo possent resistere[4] .... De ipsâ atomo dici potest, quùm per inane moveatur gravitate et pondere, sine caussâ moveri, quia nulla caussa accedat extrinsecùs. Rursus autem, ne omnes à physicis irrideamur, si dicamus quicquam fieri sine caussâ, distinguendum est, et ita dicendum, ipsius individui hanc esse naturam, ut pondere et gravitate moveatur, eamque ipsam esse caussam cur ia feratur. Similiter ad animorum motus voluntarios non est requirenda externa caussa : motus enim voluntarius eam naturam in se ipse continet, ut sit in nostrâ potestate, nobisque pareat, nec id sine caussâ. Ejus enim rei caussa, ipsa natura est[5]. Il est certain que Carnéade leur fournissait là une réponse non-seulement beaucoup plus solide que celle qu’ils employaient, mais aussi la plus ingénieuse et la plus forte que l’esprit humain puisse produire. J’avoue qu’on eût pu lui demander ces actions volontaires de l’âme, qui ne dépendent point d’une cause externe, dépendent-elles de la nature de l’âme comme le mouvement de pesanteur dépend de la nature des atomes selon Épicure ? En ce cas-là, vous n’ôtez point la fatalité des stoïques ; car vous n’admettez aucun effet qui ne soit produit par une cause nécessaire. Ni Carnéade, ni aucun autre philosophe païen, n’était capable de répondre rien de positif à cette question.

  1. Idem, de Fato, cap. IX.
  2. Voyez la remarque (F).
  3. Plutarchus, de Animæ procreat., ex Timæo, pag. 1014, B.
  4. Cicer., de Fato, cap. XI.
  5. Ibid., d. l.

ÉPISCOPIUS [* 1] (Simon), l’un des plus habiles hommes du XVIIe. siècle, et la principale colonne de la secte des arminiens, était d’Amsterdam. Il y naquit l’an 1583, et y ayant fait ses classes, il alla étudier à Leyde, l’an 1600. Il y reçut le degré de maître es-arts, l’an 1606. Il s’attacha ensuite à l’étude de la théologie, et y fit de si grands progrès, qu’en peu de temps il fut jugé digne du ministère. Les bourgmestres d’Amsterdam souhaitèrent qu’il y fût promu ; nais parce que, durant les démêlés de Gomarus et d’Armi-

  1. * Son nom de famille était Bisschop.