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ÉPICURE.

ra ou non, car le grand Apollon me confère la faculté de prophétiser [1]. Si par impossible il n’y avait point de Dieu, il serait pourtant certain que tout ce que le plus grand fou du monde prédirait arriverait, ou n’arriverait pas. C’est à quoi ni Chrysippe ni Épicure ne prenaient pas garde.

Mais voyons ce qu’Épicure inventa pour se tirer de l’embarras du destin. Il donna à ses atomes un mouvement de déclinaison, et il établit là le siége, la source et le principe des actions libres ; il prétendit que par ce moyen il y avait des événemens qui se soustrayaient à l’empire de la nécessité fatale. Avant lui, on n’avait admis dans les atomes que le mouvement de pesanteur, et celui de réflexion. Celui-là se faisait toujours par des lignes perpendiculaires, et ne changeait jamais dans le vide ; il ne recevait du changement que lorsqu’un atome se choquait avec un autre. Épicure supposa que, même au milieu du vide, les atomes déclinaient un peu de la ligne droite, et de là venait la liberté, disait-il. Sed Epicurus declinatione atomi vitari fati necessitatem putat : itaque tertius quidam motus oritur extra pondus et plagam, quùm declinat atomus intervallo minimo, id appellat ἒλάχιςον : quam declinationem sine caussâ fieri, si minùs verbis, re cogitur confiteri..... Hanc Epicurus rationem induxit ob eam rem, quòd veritus est, ne, si semper atomus gravitate ferretur naturali ac necessariâ, nihil liberum nobis esset, quùm ita moveretur animus, ut atomorum motu cogeretur. Hinc Democritus auctor atomorum accipere maluit necessitate omnia fieri, quàm à corporibus individuis naturales motus avellere[2]. Remarquons en passant que ce ne fut pas le seul motif qui le porta à inventer ce mouvement de déclinaison, il le fit servir aussi à expliquer la rencontre des atomes ; car il vit bien qu’en supposant qu’ils se mouvaient tous avec une égale vitesse, par des lignes droites qui tendaient toutes de haut en bas, il ne ferait jamais comprendre qu’ils eussent pu se rencontrer, et qu’ainsi la production du monde aurait été impossible. Il fallut donc qu’il supposât qu’ils s’écartaient de la ligne droite [3]. Lucrèce nous va décrire ce double usage du mouvement de déclinaison.


Illud in his quoque te rebus cognoscere avemus :
Corpora cùm deorsùm rectum per inane feruntur,
Ponderibus propriis incerto tempore fermè,
Incertisque locis spatio decedere paullùm :
Tantùm quod momen mutatum dicere possis.
Quod nisi declinare solerent, omnia deorsùm,
Imbris uti guttæ, caderent per inane profundum :
Nec foret offensus natus, nec Plaga creata
Principiis : ita nil unquàm natura creâsset[4].
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Denique si semper motus connectitur omnis,
Et vetere exoritur semper novus ordine certo,
Nec declinando faciunt primordia motus
Principium quoddam, quod fati fœdera rumpat,
Ex infinito ne causam causa sequatur :
Libera per terras undè hæc animantibus extat,
Undè est hæc (inquam) fatis avolsa voluntas,
Per quam progredimur, quo ducit quemque voluptas[5] ?
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Quare in seminibus quoque idem fateare necesse’st,
Esse aliam præter plagas, et pondera causam
Motibus, undè hæc est nobis innata potestas :
De nihilo quoniam fieri nil posse videmus.
Pondus enim prohibet, ne plagis omnia fiant,
Externâ quasi vi, sed ne mens ipsa necessum
Intestinum habeat cunctis in rebus agendis ;
Et devicta quasi cogatur ferre, patique :
Id facit exiguum clinamen principiorum,
Nec regione loci certâ, nec tempore certo[6].


S’il s’agissait de montrer les absurdités de cette doctrine, on en montrerait plusieurs ; car, en 1er. lieu, qu’y a-t-il de plus indigne d’un philosophe que de supposer du bas et du haut dans un espace infini ? C’est néanmoins ce qu’Épicure supposa ; car il prétendit que tous les atomes se mouvaient de haut en bas. S’il

  1. O Laërtiade, quicquid dicam aut erit aut non.
    Divinare etenim magnus mihi donat Apollo.
    Horat., sat. V, lib. II, vs. 59.

  2. Cicero, de Fato, cap. X.
  3. Voyez Cicéron, au Ier. livre de Fin., cap. VI.
  4. Lucret., lib. II, vs. 216.
  5. Idem, ibidem, vs. 251.
  6. Idem, ibidem, vs. 284.