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ÉPICURE.

et publié d’excellens livres sur le culte que l’on doit aux dieux[1]. J’avoue qu’on lui objectait qu’en agissant selon ses principes il ne devait avoir nulle religion ; mais en cela on ne faisait que disputer sur le droit, on ne niait pas le fait, on tombait d’accord de sa religion extérieure. Nous ne saurions produire un témoin plus digne de foi que Sénèque. Or voici ce qu’il en dit : Tu denique, Epicure, Deum inermem facis ; omnia illi tela, omnem detraxisti potentiam... hunc non habes quare verearis, nulla illi nec tribuendi nec nocendi materia est... Atqui hunc vis videri colere, non aliter quàm parentem : grato, ut opinor, animo : aut si non vis videri gratus, quia nullum habes illius beneficium, sed te atomi et istæ micæ tuæ fortè ac temerè conglobaverunt, cur colis ? Propter majestatem, inquis, ejus eximiam, singularemque naturam. Ut concedam tibi : nempe hoc facis nullâ spe, nullo pretio inductus. Est ergò aliquid per se expetendum, cujus te ipsa dignitas ducit : id est honestum[2]. Nous avons là en peu de mots la religion qu’Épicure professait : il honorait les dieux à cause de l’excellence de leur nature, encore qu’il n’attendît d’eux aucun bien, et qu’il n’en craignît aucun mal [3]. Il leur rendait un culte qui n’était point mercenaire ; il ne considérait aucunement son propre intérêt, mais les seules idées de la raison qui demandent que l’on respecte et que l’on honore tout ce qui est grand et parfait. On ne se trompait pas peut-être, lorsqu’on l’accusait de n’agir ainsi que par politique[4], et afin d’éviter la punition qui lui eût été immanquable s’il eût renversé le culte des dieux ; mais quand même cette accusation aurait été bien fondée, elle n’aurait pas laissé d’être téméraire. L’équité veut que l’on juge de son prochain sur ce qu’il fait, et sur ce qu’il dit ; et non pas sur les intentions cachées que l’on s’imagine qu’il a. Il faut laisser à Dieu le jugement de ce qui se passe dans les abîmes du cœur. Dieu seul est le scrutateur des reins et des cœurs. Et après tout, pourquoi ne voudrions-nous pas qu’Épicure ait eu l’idée d’un culte que nos théologiens les plus orthodoxes recommandent comme le plus légitime et le plus parfait ? Ils nous disent tous les jours que quand on n’aurait ni le paradis à espérer, ni l’enfer à craindre, l’on serait pourtant obligé d’honorer Dieu, et de faire tout ce que l’on croirait lui être agréable[5]. Je rapporterai ci-dessous[6] le témoignage que Diogène Laërce a rendu à la piété d’Épicure.

Ainsi la seule preuve du texte de cette remarque est qu’Épicure réduisait la nature divine à l’inaction : il lui ôtait le gouvernement du monde, il ne la reconnaissait point pour la cause de cet univers. C’est une énorme impiété. Les auteurs ne s’accordent pas sur la question, s’il enseignait que les dieux étaient composés d’atomes. S’il avait enseigné cela, il aurait ôté à la nature divine l’éternité et l’indestructibilité, dogme affreux et infiniment blasphématoire ; mais je ne crois point qu’on puisse le lui imputer ; car l’un de ses premiers principes était que Dieu étant bienheureux et immortel, ne fait du mal à personne, et ne se mêle d’aucune affaire. In illis selectis ejus brevibusque sententiis quas appellant κυρίας δόξας, hæc, ut opinor, prima sententia est, quòd beatum et immortale est, id nec habet, nec exhibet cuiquam negotium[7]. Nous voyons que le premier point de méditation qu’il donnait à ses disciples était l’immortalité et la félicité de Dieu. Πρῶτον μὲν, τὸν Θεὸν, ζῶον ἄϕθαρτον καὶ μακάριον νομίζων, ὡς ἡ κοινὴ τοῦ Θεοῦ νόησις ὑπεγράϕη· μηθὲν μήτε τῆς ἀϕθαρσίας ἀλλότριον, μήτε τῆς μακαριότητος ἀνοίκειον αὐτῶ πρόσαπτε· πᾶν δε τὸ ϕυλάττειν αὐτοῦ δυνάμενον τὴν μετὰ ἀϕθαρσίας μακαριότητα, περὶ αὐτὸν δοξαζε. Primùm quidem, Deum esse

  1. De sanctitate, de pietate adversùs Deos libros scripsit Epicurus. At quo modo in his loquitur ? Ut Coruncanum aut Scævolam pontifices maximos te audire dicas. Cicero, de Naturâ Deorum, lib. I, cap. XLI.
  2. Senec., de Beneficiis, lib. IV, cap. XIX.
  3. Voyez ce que Cicéron fait débiter par l’épicurien Velléius au Ier. livre de Naturâ Deorum, cap. VIII et seqq.
  4. Voyez Cicéron, là même, cap. XLIV, fin.
  5. Voyez Gassendi, de Vitâ et Moribus Epicuri, lib. IV, cap. III.
  6. Dans la remarque (P).
  7. Cicero, de Naturâ Deorum, lib. I. cap. XXX. Voyez aussi cap. XVII.