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ÉPICURE.

de compositions, il ne faisait qu’entasser témoignage sur témoignage, de sorte que si on lui eût ôté ce qu’il citait, on l’eût réduit à la carte blanche. Καὶ Ἀπολλόδωρος δε ὁ Ἀθηναῖος ἐν τῇ συναγωγῇ τῶν δογμάτων βουλόμενος παρις άνειν, ὅτι τὰ Ἐπικούρου οικείᾳ δυνάμει γελραμμένα, καὶ ἀπαράθετα ὅντα, μυρίῳ πγλείω ἐςὶ τῶν Χρυσίππου βιϐλίων, ϕησὶν οὕτως αὐτῇ τῆ λέξει, Ἐι γὰρ τις ἀϕέλοι τῶν Χρισἰππου βιϐλίων οσ᾽ ἀλλότρια παρατέθειται, κενὸς αὐτῷ ὁ χάρτης καταλελείψεται. Apollodorus quoque Atheniensis in collectione dogmatum, cùm vellet asserere Epicurum viribus suis fretum conscripsisse et absque auctorum testimoniis, esse ejus incomparabiliter plura quàm Chrysippi opera, sic ad verbum dixit : Nam si quis tollat de Chrysippi libris, quæ aliena sunt, vacua illi charta relinquetur[1]. Son émulation était telle, qu’aussitôt qu’il voyait paraître quelque nouveau livre d’Épicure, il en composait un autre[2] ; et cela si à la hâte, pour ne demeurer pas long-temps en reste, qu’il ne relisait point sa composition, ce qui l’engageait à des redites, et lui faisait avancer bien des choses peu correctes. Diogène cite ailleurs[3] Apollodore, qui prouva par cette raison qu’Épicure avait composé plus de livres que Chrysippe. Celui-ci n’avait fait que copier ce que d’autres avaient dit ; mais Épicure avait tout tiré de son propre fonds.

Puisque l’occasion s’en présente, disons quelque chose sur ces deux manières de composer, je parle de celle d’Épicure et de celle de Chrysippe. On aurait grand tort de prétendre, généralement parlant, que la méthode d’Épicure est celle des grands génies, et celle qui coûte le plus, et que la méthode de Chrysippe est celle des petits esprits, et celle qui coûte le moins. Prenez bien garde que par la méthode de Chrysippe j’entends seulement la coutume de ramasser des autorités. Je n’entends pas la négligence personnelle de ce philosophe, et les excès où il se portait en compilant. Cela posé, je soutiens qu’il y a d’aussi grands auteurs et des génies aussi sublimes dans la secte de Chrysippe, que dans la secte opposée ; et je le prouve par les trois grands noms que Gabriel Naudé va produire sur les rangs. Il me semble, dit-il[4], qu’il n’appartient qu’à ceux-là qui n’espèrent jamais d’être cités, de ne citer personne ; et c’est une trop grande ambition de se persuader d’avoir des conceptions capables de contenter une si grande diversité de lecteurs sans rien emprunter d’autrui ; car s’il y eut jamais auteurs qui pussent véritablement s’estimer tels, ç’ont été sans controverse Plutarque, Sénèque et Montagne, qui n’ont autrefois rien laissé chez les autres de ce qui pouvait servir à l’embellissement de leurs discours ; témoin les vers grecs et latins qui se rencontrent presque à chaque ligne de leurs œuvres, et entre autres cette consolation de sept ou huit feuilles que le premier envoya à Apollonius, dans laquelle on peut remarquer de compte fait plus de cent cinquante vers d’Homère, et presque autant d’Hésiode, Pindare, Sophocle et Euripide. Et de plus je ne crois point que ces nouveaux censeurs de la façon d’écrire soient si peu judicieux, que d’opposer aux autorités précédentes celle d’Épicure, lequel en trois cents volumes qu’il laissa, n’avait pas mis et inséré une seule allégation, parce que ce serait me fournir les moyens de leur condamnation, vu que les œuvres de Plutarque, Sénèque et Montagne sont tous les jours lues, feuilletées, vendues et réimprimées, où à grande peine le catalogue de celles d’Épicure nous est-il reste dans Diogène Laërce. On pouvait joindre Cicéron à ces trois exemples, et l’on ne saurait condamner ceux qui y joignent Apulée, puisque c’était un des hommes de son siècle qui avait le plus d’esprit. Comptez bien tous les exemples qui suivent. « Nous voyons dans ce beau dialogue des plus illustres orateurs de Rome qu’ils ne croyaient pas que leur éloquence pût être corrompue par des citations, le discours d’Aper nous apprenant qu’on désirait alors que les oraisons fussent parées des beautés de la poésie d’Horace, de

  1. Idem, lib. VII, num. 181.
  2. Idem, lib. X, num. 26.
  3. Voyez la citation (49).
  4. Naudé, préface de l’Apologie des grands Hommes.