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ÉPICURE.

fonda la troisième académie. On peut ajouter à ses preuves ce que Jonsius[1]
observe, que Métrodore de Stratonice n’a pu être ami d’Épicure, qui était mort avant que la ville de Stratonice fût fondée. Notez que Jonsius[2] et M. Ménage[3] s’accordent à dire que Diogène Laërce s’est exprimé en homme qui voulait apprendre à ses lecteurs qu’Épicure et Carnéade florissaient en même temps. C’est rejeter l’explication de Gassendi[4] ; et je ne m’étonne point qu’ils la rejettent, car elle est forcée au dernier point. Il se figure que l’historien n’a voulu dire que ceci : c’est que Métrodore était le seul épicurien qui eût quitté le parti, et qu’il l’avait quitté à cause que la tendresse d’Épicure, mort depuis assez long-temps, vivait encore dans la secte : Quòd bonitas verò Epicuri gravis illi (Metrodoro Stratoniceo) fuisse dicatur, intelligi potest de eâ quam Epicurus tametsi mortuus spiraret adhuc in summâ illâ consensione, charitate, et suî memoriâ apud sectatores[5]. On n’a pas besoin d’un si mauvais dénoûment, quand on explique le passage comme fait M. de la Monnoie. Il ne faut pas que j’oublie que M. Foucher[6] se prévalut de ces paroles de Diogène Laërce, pour soutenir sa fausse supposition que Carnéade et Épicure avaient vécu en même temps. M. Lantin lui répondit entre autres choses que, Diogène Laërce n’est pas un auteur bien sûr, et qu’il est aisé de remarquer dans son histoire plusieurs endroits qui se contrarient à cause qu’il a suivi des auteurs qui sont contraires[7]. Nous trouverons une de ces contradictions sans sortir de notre sujet : nous avons vu qu’il assure que Métrodore de Stratonice était le seul qui eût abjuré, et néanmoins peu auparavant il avait dit que Timocrate, disciple d’Épicure, avait quitté cette école[8], et publié ensuite bien des médisances contre son ancien professeur[9]. Je n’ai lu personne qui ait relevé cette faute. Si Gassendi l’eût aperçue, il n’aurait pas employé le raisonnement que l’on va voir : Sanè, dit-il[10], si Metrodorus à vivente adhuc Epicuro defecisset, quæsitum non fuisset ex Arcesilâ (qui duodecim annis Epicuro supervixit) [* 1] cur homines à cæteris ad epicureos, ab epicureis verò ad cæteros non commigrarent. N’est-il pas certain que Timocrate se sépara d’Épicure ? Puis donc que sa désertion n’empêcha point la demande qui fut faite à Arcésilas, pourquoi passe-t-on des autres écoles à celle d’Épicure, et non pas de celle-ci aux autres ? La désertion de Métrodore n’eût point empêché cette demande, et par conséquent Gassendi se sert d’une très-mauvaise preuve. Le proverbe, une hirondelle ne fait pas le printemps, est la solution de ceci ; car quoiqu’on sût l’inconstance d’un seul sectateur d’Épicure, on ne laissait pas de juger en gros que personne ne quittait l’épicuréisme.

(E) Il écrivit beaucoup de livres, et il se piquait de ne rien citer. ] Diogène Laërce, en parlant des philosophes qui ont le plus écrit[11], met Chrysippe au premier rang et Épicure au second : c’est ainsi qu’il dispose des places dans sa préface ; mais dans son Xe. livre, il dit absolument et sans réserve qu’Épicure est celui de tous les auteurs qui a le plus composé[12]. Ses ouvrages, continue-t-il, montent à 300 volumes, et l’on n’y voit rien qui ne soit de lui : il n’y rapporte les paroles d’aucun auteur, il ne cite personne. Mais pour Chrysippe, qui ne voulait point souffrir qu’Épicure le surpassât en nombre

  1. (*) Apud Laërt., lib. IV.
  1. Jonsius, de Scriptor. Hist. Phil., pag. 350.
  2. Idem, ibid., pag. 111.
  3. Ménag., in Diogen. Laërt., lib. X, num. 9, pag. 451.
  4. Gassendi, de Vitâ et Moribus Epicuri, lib. IV. cap, VIII, pag. 205.
  5. Idem, ibidem.
  6. Voyez le Journal des Savans du 6 août 1691, pag. m. 511.
  7. Journal des Savans du 24 mars 1692, pag. m. 210.
  8. Μαθητὴς δὲ αυτοῦ τῆς σχολῆς ἐκϕοιτήσας. Ipsiusque (Epicuri) discipulus ejus relictâ scholâ. Diog. Laërt., lib. X, num. 6.
  9. Voyez la remarque (K).
  10. Gassendi, de Vitâ et Moribus Epicuri, pag. 205.
  11. Diog. Laërt., in Proœmio, num. 16.
  12. Γέγονε δὲ πολυγραϕώτατος ὁ Ἐπίκουρος πάντας ὑπερϐαλλόμενος πλήθει βιϐλίων. Scripsit autem Epicurus infinita volumina, adeò ut illorum multitudine Cunctos superâvit. Idem, lib. X, num. 26.