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ÉPICURE.

à Épicure. Certum est, dit-il[1], Epicurum utpotè pusionem et matris asseclam hinc hausisse pietatem suam ineffabilem, ὁσιότητα ἄλεκτον, ex illoque tempore fuisse divis addictissimum, ut patet ex illâ portentificâ superstitione, quâ cum matre Epicurus circumeundo ædiculas carmina lustralia, καταρμοὺς, legeret, vel ad affectus moderandos, vel ad spectra abigenda ; quasi Hecates diaconi fuissent, in cujus nomine pleraque patrare tum poterant miracula. Quand je dis qu’il a tourné la chose d’une manière avantageuse à Épicure, je ne prétends pas lui imputer d’avoir prétendu que l’occupation de Chérestrata fût honorable. Il a trop d’esprit et d’érudition pour ne savoir pas qu’on regardait comme un emploi vil et mercenaire celui de ces vieilles femmes, qui allaient lire certains formulaires de prières afin de purifier les maisons ou les personnes[2]. Ce métier d’exorciste ne passait point pour honorable. L’orateur Eschine, fils d’une femme qui l’avait exercé, essuya mille reproches honteux sur ce sujet de la part de Démosthène. Épicure et lui se trouvaient dans le même cas : ils avaient aidé chacun sa mère dans cette cérémonie ; Démosthène le reproche à l’un et les stoïciens à l’autre. Voici ce qu’un des nouveaux commentateurs de Laërce[3] a remarqué sur ces paroles καθαρμοὺς ἀναγινώσκειν. Eadem exprobrat Æschini Demosthenes in orat. de Coron[4]. Τῇ μητρὶ τελούσῃ τὰς βίϐλους ἀνεγίνωσκες καὶ τἆλλα συνεσκευώρον, etc. Nempe Epicuri mater dicitur fuisse anicula piatrir quæ domos circumibat, et piaculo aliquo contactos solvebat, aut totam domum expiabat. Epicurus verò matri præibat carmen piaculare : utrumque ministerium ἄτιμον. Notez qu’il y a eu des auteurs célèbres, qui ont composé de ces formulaires d’expiation[5]. On me dira peut-être qu’on ne trouve point que les formulaires de Chérestrata et de son fils Épicure aient été des exorcismes de lutins ; mais qu’importe ? M. du Rondel ne laisse pas d’avoir eu un fondement légitime pour avancer ce qu’il a dit, car il est indubitable que les païens ont eu des cérémonies destinées à chasser les spectres. M. Loméier a cité Ovide[6], Valérius Flaccus[7] et Lucien[8]. Or, voici de quelle manière le tour qu’a pris M. du Rondel est avantageux à Épicure. Ce philosophe, ne croyant pas que les dieux se mêlassent de nos affaires, était suspect d’irréligion : cela le rendait odieux et l’exposait à l’infamie. Il n’y a donc rien de plus propre à lui conserver sa réputation, que de dire que depuis sa plus tendre jeunesse il allait lire des prières dans les maisons, pour le service de son prochain. C’était un acte de piété superstitieuse.

II. La seconde chose curieuse qu’on pouvait dire de Chérestrata, c’est qu’au dire de son fils, elle avait eu dans son corps cette quantité d’atomes dont le concours est nécessaire pour former un sage. Ἡ δὲ μήτηρ ἀτόμους ἔσχεν ἐς αὐτῇ τοσαύτας, οἷαι συνελθοῦσαι σοϕὸν ἂν ἐγέννησαν. Matrem quoque suam in se tot tantasque habuisse atomos, quarum congressu sapiens ederetur[9]. Plutarque allègue cela comme une preuve de la vanité d’Épicure. Cette preuve n’est pas mal choisie, car c’est une grande présomption que de croire que l’on a été formé de l’élite des atomes, et qu’on a eu une mère en qui la nature avait rassemblé tout autant d’ingrédiens qu’il en fallait pour la formation d’un sage. Je ne vois personne qui ait rapporte fidèlement ce passage de Plutarque. Tout le monde s’imagine que ce fut Néoclès, frère d’Épicure, qui dit cela de sa mère. Gassendi, qui entendait bien le grec,

  1. Du Rondel, de Vitâ et Moribus Epicuri, pag. 3.
  2. Et veniat quæ lustret anus lectumque, locumque,
    Præferat et tremula sulphur et ova manu.
    Ovid., de Arte amandi, lib. II, vs. 329.

    Voyez Loméier, de Lustrationibus Gentilium, cap. XIII, pag. 119.

  3. Joachimus Kuhnius pag. 544, edit. Laërtii, Amstelod., 1692.
  4. Voyez Loméier, de Lustrationibus, pag. 119.
  5. Épiménide en est un. Voyez Vossius, de Poëtis græcis, pag. 17.
  6. Lib. V, Fastor., apud Lomeierum de veterum Gentil. Lustrationibus, pag. 231, 232.
  7. Argon., lib. III, vs. 448, apud eumd., pag. 309.
  8. In Neeyom., apud eumd., pag. 313.
  9. Plut., in Tractatu quòd non possit suaviter vivi juxta Epicurum, pag. 1100, A.