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ÉPICURE.

ruiner le culte des dieux, et de pousser dans la débauche le genre humain. Il ne s’oublia point en cette rencontre[a] : il exposa ses sentimens aux yeux du public ; il fit des ouvrages de piété, il recommanda la vénération des dieux, la sobriété, la continence ; et il est certain qu’il vécut exemplairement, et conformément aux règles de la sagesse et de la frugalité philosophique[b] : mais on fit courir des impostures contre ses mœurs (I), et il y eut un transfuge de sa secte, qui en dit beaucoup de mal (K). Un fort savant homme a soutenu depuis deux ans[c] que ce philosophe n’a point nié la providence divine (L). Quoiqu’il ne nous reste aucun des ouvrages d’Épicure, il n’y a point d’ancien philosophe dont les sentimens soient plus connus que les siens. On est redevable de cela au poëte Lucrèce et à Diogène Laërce, et plus encore au savant Gassendi, qui a travaillé avec une extrême diligence à ramasser tout ce qui se trouve sur la doctrine et sur la personne de ce philosophe dans les anciens livres, et à le réduire en un système complet. Si jamais on a eu sujet de connaître que le temps fait enfin justice à l’innocence opprimée, c’est à l’égard d’Épicure : car il s’est élevé tant d’illustres défenseurs de sa morale (M) pratique, et de sa morale spéculative, qu’il n’y plus que des entêtés ou des ignorans qui en jugent mal. Il mourut dans les douleurs d’une rétention d’urine, avec une patience et une constance toute particulière, l’an 2 de la 127e. olympiade[d]. Il commençait d’entrer dans sa soixante-douzième année. On ne saurait dire assez de bien de l’honnêteté de ses mœurs, ni assez de mal de ses opinions sur la religion. Une infinité de gens sont orthodoxes et vivent mal : lui au contraire, et plusieurs de ses sectateurs, avaient une mauvaise doctrine, et vivaient bien (N). N’oublions pas qu’il avait une très-bonne morale par rapport à l’obéissance qui est due aux magistrats (O). Il fut beaucoup plus célèbre après sa mort que pendant sa vie (P), comme Sénèque l’a remarqué, et comme Métrodore l’avait prédit.

Il ne sera pas inutile de donner ici un exemple de la malignité et de la mauvaise foi que l’on employait en censurant Épicure. Il fit un ouvrage intitulé le Festin, et il y traita la question : Quel est le temps le plus propre a s’approcher d’une femme ? Ses censeurs voulant avoir un prétexte de médire représentèrent infidèlement son procédé, ils en changèrent les circonstances. Il faut bien qu’il ait été innocent, puisque Plutarque a eu l’équité de faire voir qu’il n’y avait rien là qui ne fût digne d’un philosophe (Q). Le même Plutarque a fait un traité exprès pour prouver que l’on ne peut vivre agréablement dans les principes d’Épicure. Il fait voir entre autres choses que la

  1. Rondellus, de Vitâ et Moribus Epicuri, pag. 19, 20.
  2. Voyez la remarque (N).
  3. On écrit ceci l’an 1695.
  4. Diog. Laërt., lib. X, num. 15 et 23.