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DRABICIUS.

Drabicius ait parlé lui-même au prince : il lui fit savoir sa commission par d’autres gens[1].

(D) Coménius ayant des affaires en Hongrie, l’an 1650. ] Les protestans que l’empereur avait bannis de ses terres avaient toujours espéré d’y revenir : les uns se fondaient sur les ligues qui furent faites contre l’empereur, les autres sur les visions de quelques enthousiastes. Pendant la vie de Gustave la chose devint presque certaine, et l’on n’eut point lieu d’en désespérer depuis sa mort ; car ses lieutenans continuèrent la guerre à l’honneur de leur nation, et à l’avantage de la ligue. Les réfugiés espérèrent donc que leur rappel serait un article de la paix de Munster. Mais ils virent avec douleur que cette longue et importante négociation fut terminée au mois de janvier 1650 sans qu’on se fût souvenu de leur exil. La maison d’Autriche négocia si finement, qu’elle obtint des conditions cent fois plus avantageuses qu’elle n’aurait dû se promettre : l’Église paya pour l’empereur, nonobstant les protestations de la cour de Rome : tout ce qu’il avait fait contre les sectaires de ses états demeura fixe et immobile. Alors ces pauvres réfugiés, qui s’étaient dispersés en divers lieux, se virent sans espérance, et résolurent de convoquer une assemblée pour aviser à leurs affaires[2]. Ceux de Pologne souhaitèrent que les autres leur envoyassent des députés. Ils eurent satisfaction, si ce n’est du côté de la Hongrie. Les réfugiés de Hongrie alléguèrent pour leur excuse, entre autres choses, qu’ils avaient souvent envoyé des députés en Pologne depuis leur bannissement commun, et qu’il était juste qu’on vint une fois vers eux. Ils demandèrent nommément qu’on leur envoyât Comenius, sur-intendant des églises de Moravie : on y consentit d’autant plus facilement que Coménius était alors appelé par le prince Sigismond Ragotski, pour certaines consultations qui concernaient la réforme des écoles[3]. Voilà ce qui fit que Coménius partant d’Elbing prit sa route par la Silésie et la Moravie, et qu’il se rendit en Hongrie, où il célébra la Pâque avec plusieurs ministres et gentilshommes députés. Drabicius s’y trouva, et lui communiqua ses révélations, et le fit dès lors en quelque manière son coadjuteur [4].

(E) Ragotski mourut en 1652... L’ange qui disait tout à Coménius ne lui avait point révélé ce grand article. ] Cette expression, imitée des mémoires de la duchesse Mazarin, s’étant présentée, je m’en suis servi. On m’en excusera apparemment. Drabicius est ici l’ange qui disait tout à Coménius : mais bien loin de lui apprendre la mort de Ragotski avant qu’elle fût arrivée, il envoya des révélations depuis la mort de ce prince, qui le supposaient vivant. Un des confidens dit là-dessus qu’assurément Drabicius les jouait : Coménius eut la bouche close, mais ayant eu le temps d’y songer, et d’examiner le parallèle de plusieurs visions, il trouva qu’elles avaient préfiguré la mort du prince un an auparavant. Voilà de nos gens : ils ne demeurent jamais court, pourvu qu’on leur donne le loisir d’ajuster leurs flûtes. Febris malignæ morbo correptus fuit (Sigismundus Racocius) quæ illi 4 Februarii vitæ finem attulit. Quod quia nec prædictum adeò, nec exspectatum fuit, novus offensionis lapis fuit factum. Præsertim cùm Drabicius novas suas nobis submittens revelationes, tanquam de vivente adhuc sermocinaretur, quem nos non vivere jam certi eramus. Hinc amicorum rei consciorum unus (J. T.) ad me : Ludificamur quàm verè vivit Deus. Ad quod nihil quod responderem habens obmutui. Nunc ista ordine relegenti sapientiæ Dei vestigia manifestè sese ostentant[5].

(F) L’irruption de Ragotski dans la Pologne. ] Coménius demeure d’accord de bonne foi qu’il prit cela pour l’accomplissement de la prophétie que

  1. Per theologum, medicum, Aulæque magistrum de sibi commissis informat. Drabicius, Hist Revel., pag. 147.
  2. Pacis Monasterii et Osnabrugæ sexennio agitatæ, tandemque conclusæ, iterùmque Noribergæ biennio ventilatæ, tandemque terminatæ, ultima publicatio incidit in januarium anni 1650. Quâ Bohemiæ regno, cum incorporatis provinciis, hæreditatis nomine, austriacæ domui relictis, dispersi, propter evangelium à spe reditûs æternum exclusi, quid jam agendum esset deliberare cœperunt. Ibid., pag. 49.
  3. Voyez l’article de Coménius, au texte, entre les citations (h) et (i) tome V, pag. 261.
  4. Comenius, Hist. Revel., pag. 149, 150.
  5. Idem, ibid., pag. 156, 157.