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DRABICIUS.

père ? élection qui a remis la maison d’Autriche dans tout son premier éclat en Allemagne, ou peu s’en faut ; et qui a ruiné de fond en comble les protestans de Hongrie. Les espérances qu’on fonda sur ces deux événemens ayant été bientôt dissipées, on se repentit d’avoir sitôt lâché l’édition. Drabicius y perdit le plus (G) ; car la cour de Vienne, ayant connu que c’était un homme qui sonnait le tocsin contre la maison d’Autriche, chercha les moyens de le punir, et l’on dit qu’elle en vint à bout. Coménius n’avait rien à craindre de ce côté-là : il s’était cantonné dans un asile impénétrable ; il était devenu bourgeois d’Amsterdam, et y jouissait de toute sorte de protection. Il n’eut à craindre que la plume de quelques théologiens, et les reproches du secrétaire de Ragotski (H) ; mais ce n’était pas une affaire pour un homme qui ne manquait ni d’esprit, ni d’érudition, ni de routine à faire des livres, et à citer sur toutes choses les phrases de l’Écriture, et autres maximes spirituelles, avec de grands airs de zèle pour la cause de Dieu, et pour la ruine de l’Antechrist. Il se maintint avec ces machines ; et s’il perdit son autorité, sa réputation, sa gloire, ce ne fut qu’auprès de quelques personnes de bons sens, qui ne sont presque jamais les arbitres du crédit. Ceux qui avaient été crédules une fois à son égard, continuèrent de l’être [a], et c’est ce qui arrivera toujours. Ainsi les visionnaires et les fanatiques à venir n’ont rien à craindre ; ils n’ont qu’à débiter hardiment tout ce qui leur viendra dans l’esprit, pourvu qu’ils aient l’adresse de s’accommoder aux passions du temps. Ils n’auront pas les rieurs de leur côté ; mais ils auront des partisans qui valent bien les rieurs. Ayez recours à l’article de Coménius, et à celui de Kottérus. Les visions de Drabicius s’étendent jusques à l’année 1666. On se trompe, quand on attribue son bannissement à des discours séditieux [b] ; car il ne fut banni que comme tous les autres ministres de Bohème, etc. Nous verrons ailleurs [c] si M. Jurieu a dû dire que les savans de Paris savent à peine le nom de Drabicius.

  1. Toties ineptiis jus decepti, eum pro magno prophetâ habere pergunt, nec quicquam indè detrimenti auctoritas ejus sensit. Sic mundus vult decipi. Append. Discursûs Theolog. Arnoldi contra Comenium.
  2. Moréri fait cette faute.
  3. Dans la remarque (A) de l’article Kottérus, tome VIII.

(A) Les règlemens qu’on avait faits pour prévenir ce désordre. ] Les supérieurs des ministres exilés eurent soin de faire ordonner que chacun s’arrêterait dans la ville qu’il aurait choisie pour le lieu de sa demeure ; et qu’encore que chaque troupeau ne fût conduit que par un pasteur, les autres ministres ne laisseraient pas de prêcher à tour de rôle. On fit cela pour éviter deux grands inconvéniens : l’un était que sans cela quelques-uns se fussent mis à courir de lieu en lieu pour recueillir des aumônes[1] ; l’autre était qu’en ne prêchant point ils se seraient rendus mal propres à édifier une église, si jamais Dieu les eût rappelés à leurs premières fonctions[2].

  1. Volebant patres nostri ecclesiis orbatos pastores, confratres suos, non mendicitati vacare, et stipis quærendæ causâ alienas terras (ut ab aliis factitatum vidimus) pererrure. Comen., Histor. Revelat., pag. 139.
  2. Ut exilii tractu nemo prorsùs laboribus sacris desuesceret, potiùs sese mutuâ diligentiâ