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DRABICIUS.

seconde, la nuit du 23 de janvier 1643. La première vision lui promit en général de grandes armées du septentrion et de l’orient qui opprimeraient la maison d’Autriche : la seconde marqua en particulier, que Ragotski commanderait l’armée qui viendrait de l’orient, et ordonna à Drabicius de faire savoir à ses frères que Dieu les allait rétablir dans leur pays, et venger les injures faites à son peuple ; et qu’ils eussent à se préparer à la délivrance par jeûnes et par oraisons. Il reçut ordre d’écrire ce qui lui était révélé, et de commencer comme les anciens prophètes, la parole du seigneur me fut adressée [a]. Dès le lendemain il communiqua sa vision aux ministres qui étaient réfugiés dans le même lieu que lui. Ils la communiquèrent aux autres ; mais on n’en fit point de cas. Ces deux premières visions furent suivies de plusieurs autres, la même année 1643 ; et il y en eut une qui ordonna que l’on fît confidence de tout à Coménius [b], qui était alors à Elbing en Prusse. Il y en eut une au mois de janvier 1644, qui assura Drabicius que les troupes impériales ne feraient point périr les réfugiés [c]. Elles firent un grand ravage sur les terres de Ragotski, pillèrent la ville de Lednitz, et en assiégèrent le château. Drabicius s’y enferma, et soit qu’il se défiât un peu de sa vision, soit qu’il crût que bon droit a besoin d’aide, il ne s’amusait point à des prières ; il se tenait proche des canons que l’on tirait sur les assiégeans, et il mettait la main à l’œuvre (B). Mal lui en prit ; la flamme lui sauta au visage, et lui pensa ôter un œil. Les Impériaux levèrent le siége. Mais quelque temps après ils assiégèrent la place tout de nouveau, et la prirent. Les réfugiés furent compris dans la capitulation tant pour leur vie, que pour leurs biens : on ne laissa pas de les piller [d]. Voilà donc Drabicius au pouvoir des Impériaux : cela ne l’empêcha point d’aller signifier à Ragotski, au mois d’août 1645, que Dieu lui faisait commandement de ruiner la maison d’Autriche et le pape (C), et que, s’il refusait d’attaquer cette engeance de vipères, il attirerait sur sa maison une ruine générale, qui n’épargnerait pas même celui qui pisse contre la paroi. Ce prince savait déjà que Drabicius faisait le prophète ; car Drabicius, selon les ordres qu’il en recevait coup sur coup dans ses extases, lui avait envoyé une copie de ses révélations, laquelle Ragotski jeta au feu [e]. À l’égard de l’ordre que le prophète alla porter en personne, on lui répondit qu’on avait conclu depuis peu un traité de paix [f]. La mort de ce prince, arrivée le mois d’octobre 1647, plongea Drabicius dans un extrême chagrin : il crut que ses révélations ne seraient que de la fumée, et il se voyait exposé à la

  1. De his visis et auditis in scriptum referendis mandatum accipit…. et à verbis illis factum est ad me verbum Domini (sic non aliter) inchoare jubetur, Comenius, Hist. Revelat., pag. 141.
  2. Ibid., pag. 143.
  3. Ibid., pag. 146
  4. Ibid., pag. 147.
  5. Ibid., pag. 146.
  6. Ibid., pag. 148.