Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique, 1820, T05.djvu/97

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
87
CHARPENTIER.

partis avaient leurs pasteurs, que le premier avait pour lui d’Espina, Sorel (il y a, dans la lettre de Charpentier que le père de Sainte-Marthe a fait imprimer, des Rosiers [1] au lieu de Sorel), Albrac, Capel, la Haye, Mercure ; mais que les autres ministres ne pouvaient souffrir la modération de ceux-là, et surtout Théodore de Bèze, qu’il appelle la trompette de Seba [* 1], et contre lequel il se déchaîne surtout dans son livre. Non-seulement il excuse le massacre, mais il prouve fort au long, et avec beaucoup d’adresse, qu’il a été fait justement, et qu’on a dû le faire pour abattre une faction impie, qui ne pensait qu’à renverser l’autorité royale, à débaucher les villes du royaume de l’obéissance qu’elles devaient à leur souverain, à troubler la tranquillité publique, et qui semblait avoir été formée pour la ruine même de la religion protestante, par des gens turbulens et ennemis de leur patrie. On publia une réponse cette lettre sous le nom de Portes, datée du premier de mars de l’année suivante, qui était remplie de paroles extrêmement aigres. M. de Thou ajoute que le duc d’Anjou sollicita fortement François Baudouin, jurisconsulte, qui, après avoir autrefois embrassé la religion protestante en Allemagne, s’était laissé gagner par les avis modérés du théologien Cassandre, et était rentré dans la religion romaine, et qui enseignait alors à Angers, à travailler au même dessein que Charpentier (c’est-à-dire à justifier le massacre) ; mais que ce jurisconsulte s’en excusa modestement sur les contestations qu’il avait eues avec les Génevois qui empêcheraient, disait-il, qu’on ne l’en crût, sur la matière ; que, dans la vérité, il ne voulut pas justifier le massacre, parce qu’il le détestait, et qu’ayant même lu la lettre de Charpentier, il y remarqua de grands défauts de mémoire et de grandes bévues, en ce qu’il rapportait de l’histoire ancienne. »

Le religieux bénédictin donna une suite de ses Entretiens, dans laquelle il élude autant qu’il peut ce témoignage de M. de Thou [2].

Vous trouverez le précis de la même lettre de Charpentier dans le troisième volume [3] de la grande Histoire de Mézerai. Cet historien prétend que cette lettre servit de réplique à Wolfangus Prisbrachius [* 2], Polonais, qui avait répondu fort aigrement à la harangue de Bellièvre [4]. D’Aubigné [5], au contraire, veut que Wolfgang Prisbrach et Portus Crétin que Charpentier prenait à témoin [6] aient écrit contre Bellièvre et Charpentier. Il s’exprime mal, car il fallait dire que Portus écrivit contre celui-ci, et Prisbrach contre celui-là. Il ne paraît point que Charpentier ait en vue l’ouvrage de ce Prisbrach. Je crois donc que M. de Mézerai se trompe.

Cette lettre de Charpentier à Portus servit d’épisode à un catholique romain [7] pour sa préface d’un livre de controverse qu’il publia l’an 1585 [8]. Il l’y fourra presque toute entière, et il en a averti ses lecteurs dans un autre livre [9]. Je dois ajouter qu’elle se trouve dans le premier tome des Mémoires de l’état de France sous Charles IX [10], avec la version française de la réponse latine que François

  1. (*) Allusion de Seba, anagramme de Beza, à Seba, nom de ce séditieux dont il est dit au IIe. liv. de Samuel (chap. XX), qu’il sonna de la trompette pour soulever le peuple contre David. Du reste, la lettre de Charpentier en date du 15 septembre 1572, la réponse de François Portus, et l’extrait de remarques de François Baudouin sur la lettre de Charpentier, se trouvent dans les Mémoires de l’état de France sous le roi Charles IX, (depuis le feuillet 322 du tome I. jusqu’au 368e. de l’édition de 1579. ) Rem. crit.
  2. (*) On lit Prisbach dans les Mémoires de l’état de France, (tom. II, fol. 20 verso, où cette pièce est insérée.) Rem. crit.
  1. Mon article Rosier, tome XII, vous apprendra que le père de Sainte-Marthe et M. de Thou disent la même chose, et qu’ainsi cette parenthèse est inutile, ou qu’elle devait contenir quelqu’autre chose.
  2. Voyez le Journal des Savans du 12 de novembre 1691, pag. 651, édition de Hollande.
  3. À la page 264.
  4. Faite à l’assemblée des cantons suisses à Baden, pour justifier le massacre de la Saint-Barthélemi.
  5. D’Aubigné, Hist. univers., tom. II, chap. VII, pag. 565, à l’ann. 1572.
  6. Il devait dire que Charpentier lui adressa cette lettre.
  7. Corneille Schultingius.
  8. Voyez la préface du IVe. tome de son Confessio Hieronymiana.
  9. Voyez la page 256 du IVe. tome de son Bibliotheca catbolica.
  10. Pag. m. 600 et suiv.