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CHARLES-QUINT.

qu’elle ne manquait ni d’eau ni de soleil ; et la même nuit que l’âme de l’empereur quitta la prison de son corps, cette belle fleur s’épanouit, fut coupée avec respect et admiration, et mise sur le grand autel [1]. » Tout le merveilleux du harangueur des pères de l’Oratoire de Paris s’évanouit à peu près dès qu’on examine attentivement la narration de l’historien espagnol. Je ne connais point cet auteur sincère qu’on a prétendu citer, mais je m’imagine que lui ou le comte de la Roca ont été copiés par Fabien Strada. Vous le croyez aisément si vous comparez les paroles de ce comte avec ce latin : Nec illud admiratione caruit : in Caroli, quem dicebam, hortulo, binos eodem tempore stylos emiserat candens lilium. Alter Majo mense, uti assolet, calyce dehiscente floruit : alter, quamvis eâdem culturâ provocatus, tumorem tamen ac partûs signa vere toto atque æstate sustinuit : eâdemque demùm nocte, quâ Caroli animus integumento sese corporis evolvit, explicato repentè folliculo, intempestivâ nempe atque insperatâ germinatione promisit florem. Id verò et observatum ab omnibus, et lilio super arâ templi maximâ ad spectandum proposito, fausti candidique ominis loco acceptum est [2]. Je me souviens ici d’une observation que j’ai lue dans un ouvrage de mademoiselle de Schurman. Elle raconte [3] qu’au temps que du Lignon, l’un des disciples de Labadie travaillait à l’établissement de la secte à Herford, il arriva trois prodiges. Le premier était qu’un tronc d’arbre sec depuis quatre ans poussa tout à coup quelques jets de quatre ou cinq pieds, et chargés de feuilles. Ce fut pendant l’automne, et dans un lieu clos et couvert, proche du temple que l’on assigna depuis aux labadistes. Le second prodige était que tous les arbres fleurirent dans le jardin de la princesse pendant l’automne qu’elle promit de protéger leur petite église. Le troisième était qu’un essaim d’abeilles se vint loger au même jardin, sans qu’on sût d’où il venait. Selon l’hypothèse des présages, tout cela devait promettre un glorieux et long établissement ; et néanmoins, cette secte fut bientôt contrainte de quitter Herford.

(EE) Il ne forma point d’entreprise plus juste que le siége de Metz, ni dont le succès fut plus malheureux. ] Henri II, ligué avec quelques princes d’Allemagne, avait été déclaré protecteur de la liberté germanique [4], et il se glorifiait de n’agir que selon cette qualité [5]. Néanmoins, il se rendit maître de Metz, ville impériale ; il la dépouilla de sa liberté, et cela par la plus insigne de toutes les fourberies. On ne peut lire sans horreur le prétendu stratagème dont on se servit pour assujettir cette petite république, qui ne regardait ce monarque que comme un tuteur. C’est alors qu’on avait raison de dire : Sed quis custodiet ipsos custodes [6] ? Ainsi toutes sortes de raisons autorisaient Charles Quint à réunir au corps de l’empire une ville qui en avait été détachée de cette manière. Il y employa ses plus grandes forces, et y échoua honteusement [7] ; et il a fallu enfin qu’à la paix de Munster l’empire renonçât à ce morceau, et le laissât à la France. Cet empereur avait réussi admirablement dans des entreprises tout-à-fait injustes.

(FF) La magnificence avec laquelle les Fuggers le reçurent ne doit pas être oubliée. ] Nous parlerons ci-dessous [8] de leur richesse : en voici une belle marque. « M. Félibien [9] rapporte un trait fort joli des Fouckers, ces fameux négocians d’Allemagne, qui, pour témoigner leur reconnaissance à Charles-Quint, le-

  1. Le comte de la Roca, Histoire de Charles-Quint, pag. m. 349, 350.
  2. Famian. Strada, de Bello belg., dec. I, lib I, pag. m. 16.
  3. Anna Maria à Schurman, in cap. II, part. II, Euclerias.
  4. Mézerai, Abrégé chron., tom. IV, pag. 670, à l’ann. 1552.
  5. Voyez Sleidan, liv. XXIV, folio m. 695.
  6. Juven., sat. VI, vs. 345.
  7. Il courut alors mille pièces en vers et en prose aussi glorieuses aux Français qu’injurieuses à l’empereur, et les médisans en prirent sujet de changer en plus citrà le plus ultrà de sa devise. Histoire du duc d’Albe, liv. III, chap. XXIV, pag. 284.
  8. Dans l’article Fugger, remarque (A).
  9. Journal des Savans du 8 janvier 1685, pag. m. 12, dans l’Extrait de la IVe. partie des Entretiens sur les vies et les ouvrages des peintres.