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CHARLES-QUINT.

à Leidelberg, et qu’à la page 930 il y lut une prophétie que l’auteur avait trouvée in ædibus Præpositi Saleziani, et qui contenait ce qui suit : Surget rex è natione illustrissimi Lilii, habens frontem longam, supercilia alta, oculos longos, nasumque aquilinum : Is congregabit exercitum magnum, et omnes tyrannos regni sui destruet, et morte percutiet omnes fugientes montibus, et cavernis sese abscondentes à facie ejus. Nam ut sponsus sponsæ, ita erit justitia ei associata, cum illis usque ad quadragesimum annum deducet bellum subjugando Insulanos, Hispanos et Italos. Romam et Florentiam destruetet comburet, poteritque sal seminari super terram illam. Clericos qui sedem Petri invaserunt morte percutiet : eodemque anno duplicem coronam obtinebit. Postremum mare transiens cum exercitu magno, intrabit Græciam, et rex Græcorum vocabitur. Turcas et Barbaros subjugabit, faciendo edictum : Quicumque crucifixum non adoraverit, morte morietur. Et non erit qui resistere poterit ei, quia brachium sanctum à Domino semper cum eo erit, et dominium terræ possidebit. His factis sanctorum requies christianorum vocabitur, etc. Comiers donne une traduction française de cela en prose et en vers, et ajoute [1] qu’il a trouvé la même prophétie, mais en termes différens, dans le neuvième tome des œuvres de saint Augustin, au milieu du traité de l’Ante-Christ [2], page 454 de l’impression de Lyon, en l’année 1586 ; et notez qu’il applique à Louis XIV l’une et l’autre de ces deux prophéties. Comme la conquête de l’univers, dit-il [3], n’est pas l’ouvrage d’un jour, nous devons du moins espérer qu’en l’année prochaine 1666 notre grand monarque jettera les premiers fondemens de cet empire universel. Mais prenez encore mieux garde à la supercherie des flatteurs de Charles-Quint, ils empaumèrent la première de ces deux prédictions, et, afin de la faire cadrer à cet empereur, ils la tronquèrent d’un côté, et ils l’augmentèrent de l’autre : ils y fourrèrent le nom de son père et le sien, et la conquête des Français ; ils en ôtèrent le nez aquilin et quelques autres traits de visage. J’ai vu de fort bonnes gens infatués de prophéties, qui pendant la dernière guerre [4] appliquaient tout ce prétendu oracle le mieux qu’ils pouvaient à S. M. B. le roi Guillaume. Notez enfin l’aveu de Pontus, qu’il a publié la prophétie afin de donner plus de courage aux soldats de Charles-Quint, et soyez persuadés que la plupart de ces inventeurs ou promoteurs de prédictions ne se proposent que d’amuser la populace, et de lui inspirer les passions dont ils souhaitent qu’elle se remplisse, et, pour mieux y réussir, ils se servent et de subreption et d’obreption.

(DD) Nous dirons un mot touchant un lis qu’il avait planté dans sa solitude. ] Il le planta à la fin d’août 1558, et il mourut le 21 de septembre suivant. Au moment de sa mort, cet ognon de lis jeta tout d’un coup une tige de deux coudées, avec une merveilleuse fleur, aussi épanouie et aussi odoriférante que ces sortes de fleurs ont accoutumé de l’être en Espagne en leur saison ordinaire. Je me sers des termes que le supérieur des pères de l’Oratoire de Paris employa en haranguant la reine d’Espagne, l’an 1679 [5]. Je laisse le présage ridicule qu’il trouva dans cette végétation [6] ; mais il faut que je remarque que le comte de la Roca ne rapporte point le fait dans les mêmes circonstances. Voyons ses paroles : « Un auteur sincère écrit qu’il y avait un pied de lis dans un petit jardin où donnait une fenêtre de l’appartement de l’empereur, qui au commencement du printemps jeta deux tiges, dont l’une rompit sa tunique, fit éclore sa fleur, rendit une odeur agréable, et mourut enfin ; et l’autre, quoique de même âge, et qui n’était pas si avancée, se retenait en son bouton, ce qui causa de l’étonnement à plusieurs, parce

  1. Cl. Comiers, de la Nature et Présages des Comètes, pag. 478.
  2. Voyez touchant ce Traité, M. Audigier, de l’Origine des Français et de leur empire, tom. II, pag. 465 et suiv.
  3. Comiers, de la Nature des Comètes, pag. 480.
  4. On écrit ceci en 1699.
  5. Sa Harangue est toute entière dans la IIe. partie du Mercure Galant du mois d’octobre 1679. Voyez les Pensées sur les Comètes, pag. 294.
  6. Voyez les Pensées sur les Comètes, même.