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CHARLES-QUINT.

bliée de cet ouvrage espagnol. Il a rapporté aussi les paroles italiennes de Baptiste Gribalde, qui avait été présent à l’action, et les termes espagnols de Gonçalo de Illescas, tirés de la IIe. partie de son Histoire pontificale, et les vers latins d’un anonyme ; et il s’est efforcé de prouver que le fait est vrai. Il s’est prévalu, entre autres choses, de ce que Sleidan, qui témoigne beaucoup de colère contre Louis d’Avila, ne le réfute point sur cet arrêt du soleil. Mais le père Maimbourg s’est moqué comme il fallait de cette vision espagnole, et de quelques autres qui concernent la même bataille, et il les a combattues par quelques raisonnemens [1]. Il n’a pas oublié de rapporter que le duc d’Albe, homme fort solide, et qui ne donnait nullement dans la bagatelle, fit bien connaître qu’il ne croyait rien de ce qu’on disait de ce prétendu miracle, lorsqu’étant venu en France pour y épouser au nom du roi Philippe la princesse Élisabeth, fille de Henri II, il répondit plaisamment à ce prince, qui l’interrogeait sur cela : Qu’il était si occupé ce jour-là à ce qui se passait alors sur la terre, qu’il ne prit pas garde à ce qui se faisait au ciel. Florimond de Rémond a rapporté cette réponse du duc d’Albe, et fait savoir à ses lecteurs qu’il l’avait apprise d’un gentilhomme basque, gouverneur d’Acqs, qui parlait et vivait à l’antique en ce temps-là, fort privé et favori du roi [2]. Notez bien cela : cet historien n’avait vu cette particularité dans aucun livre, il la tenait d’un gentilhomme qui était alors à la cour de Henri II. Il est peut-être le premier auteur qui l’ait publiée, et celui dont tous les autres l’ont prise ; et peut-être que s’il n’en eût point parlé, nous ne la trouverions pas dans l’histoire du duc d’Albe [3], qu’on vous a donnée en français il n’y a que peu de temps, comme la version d’un livre latin imprimé à Salamanque, l’an 1669, sous le titre de Vita Ferdinandi Toletani ducis Albani. L’auteur de la traduction assure qu’il l’a fait faire avec toute l’exactitude possible, qu’il n’y a rien mis du sien, et qu’il n’a rien ôté ni du corps de l’histoire ni des faits.

(CC) On fit courir une prophétie qui promettait à cet empereur la défaite des Français, celle des Turcs, la conquête de la Palestine, etc. ] Antoine Pontus, qui avait porté les armes dans l’expédition de Tunis, sous Charles-Quint, en composa une relation qui n’a été rendue publique que depuis un an [4]. Il dit dans son préambule que, pour augmenter le courage des soldats, il veut rapporter deux choses : l’une est une vieille prophétie, l’autre est le discours d’un spectre qui s’était montré au temps de l’expédition d’Odet de Foix dans le royaume de Naples. Laissons ce qui regarde ce fantôme, et contentons-nous de ce qui concerne la prophétie. Duo hæc ante prælibentur, non quòd historiæ inserviunt, sed ut animi nostrorum militum alacres nunc his auditis ad arma fiant alacriores. Quorum illud unum imprimis subvenit, et ut vulgatissimum ita quoque antiquissimum votis illius, quæ prophetia dicitur, verbum divinum, quod quidem tale circumfertur, Carolum Philippi filium ex natione Lilii, ut ejus verba præstringam, post Gallos Hispanosque domitos, Romam quoque et Florentiam, congregato magno exercitu regem Græcorum vocari, indèque post victos Turcas, Chaldæos, Palæstinosque, sanctam Hierusalem recuperaturum, atque inibi à Dei nuncio coronatum in summi principis sinu vitam expiraturum, facietque priùs edictum, ut qui sanctæ crucis signum non adoraverit morte puniatur [5]. Comparez cela avec une prophétie que David Paréus inséra dans son Commentaire sur l’Apocalypse, l’an 1598, et vous trouverez un échantillon des fraudes qui se commettent en pareils cas. Le sieur Comiers raconte [6] qu’étant à Orange, l’an 1660, on lui prêta cet ouvrage de Paréus, imprimé

  1. Maimbourg, Histoire du Luthéranisme, tom. II, pag. 55 et suiv., édit. de Hollande. Voyez les Pensées diverses sur les Comètes, pag. 274, 275.
  2. Flor. de Rémond, Histoire de l’Hérésie, liv. III, chap. XVI, pag. m. 362.
  3. Au chap. X du IIIe. livre, pag. 218, édit. de Paris, chez Jean Guinard, 1696.
  4. À Leyde, 1698, dans le Veteris ævi Analecta de M. Matthæus.
  5. Anton. Pontus Consentinus, in Hariadeno Barbarossâ, pag. 2.
  6. Claude Comiers, prêtre, prevôt de l’église collégiale de Ternan, et chanoine en la cathédrale d’Ambrun, de la Nature et Présage des Comètes, pag. 469, édit. de Lyon, 1665.