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CHARLES-QUINT.

potis ac pronepotum dorso molestiæ multùm creâsse [1].

(Q) Quelques auteurs parlent fort avantageusement de sa piété. ] Guillaume Zénocarus assure que Charles-Quint composait lui-même des prières à chaque expédition qu’il entreprenait, qu’il les écrivait de sa propre main, qu’elles étaient aussi longues que les sept psaumes de la pénitence, et que les ayant fait approuver par ses confesseurs, il les récitait chaque jour au milieu de ses armées. Quelquefois, lorsqu’il sentait les émotions et les componctions dévotes, il se mettait à l’écart sous prétexte de quelque nécessité naturelle, afin d’être plus long-temps dans la ferveur de l’oraison. Il donnait ces prières à garder à Adrien Sylvanus, avec ordre de les déchirer en petits morceaux et de les jeter au vent, si quelque malheur lui arrivait. Plusieurs, ayant observé le temps que cet empereur employait à ses prières, dirent qu’il parlait plus souvent à Dieu qu’aux hommes [2].

(R) ........ d’autres prétendent qu’il avait plus d’ambition que de religion. ] Ils soutiennent que l’envie de s’agrandir au préjudice de François Ier., fut cause qu’il laissa prendre Belgrade et Rhodes à Soliman, et qu’il ne se servit point des occasions favorables que Dieu lui mettait en main contre les Turcs, soit en Hongrie, soit en Afrique. Il aimait mieux venir ravager la France, que profiter des avantages qu’il remportait sur les infidèles. On l’accuse d’avoir fomenté le luthéranisme, qu’il lui eût été facile d’exterminer. Il trouvait son compte dans les divisions que cette secte causa, et s’en servait à toutes mains, tantôt contre le pape, tantôt contre la France, tantôt contre l’Allemagne même. Il rejeta, dit-on, les offres que les protestans lui firent de le servir contre les Turcs, moyennant la liberté de conscience ; mais il la leur accorda amplement dès qu’ils lui promirent de renoncer à l’alliance de la France [3]. Si cela est, on ne peut nier qu’il n’y ait là un exemple de ce qui a été dit ci-dessus [4] de la religion des souverains. En tant qu’hommes, ils sont zélés pour leur religion : ils prient Dieu, ils vont aux églises dévotement ; mais dès qu’ils se considèrent revêtus de la qualité de souverain, ils ne songent qu’à vaincre leurs ennemis, et ils attaquent avec le plus de vigueur, non pas celui qui est le plus opposé à leur créance, mais celui pour lequel ils ont la plus grande haine, ou par crainte ou par jalousie, fût-il le plus grand soutien de leur religion. Au reste, on a débité un grand mensonge dans la vie de Charles V [5], le voici : « Estant obligé d’éviter le duc Maurice, n’estant accompagné que de six cavaliers, les princes d’Allemagne lui proposèrent que, s’il vouloit seulement commander que leurs opinions fussent disputées, ils lui fourniroient cent mille hommes pour s’opposer au Turc qui descendoit en Hongrie, et qu’ils les entretiendroient jusqu’à ce qu’il se fust rendu maître de Constantinople : il répondit qu’il ne vouloit point de royaumes à si cher prix, ny l’Europe mesme avec une telle condition ; mais qu’il ne désiroit que Jésus-Christ [6]. » Il est plus que manifeste qu’après cette fuite de Charles-Quint devant Maurice, les protestans obtinrent presque tout ce qu’ils voulurent. Voyez le Luthéranisme de Maimbourg [7]. J’y renvoie parce que c’est un livre cent fois plus commun que Sleidan, que M. de Thou, que Chytreus, cités par Maimbourg.

(S) ....... et qu’il mourut presque luthérien. ] Brantôme sera le premier que je citerai. « Ce livre [8] dit bien plus, qu’il fut une

  1. Scioppius, Infam. Fam. Stradæ, p. 19.
  2. Guill. Zenocarus, lib. V de Vitâ Carol V, apud Matthiam Castritium de Virtutibus principum Germaniæ, lib. I, cap. XXXIV.
  3. Voyez La Mothe-le-Vayer, tom. II, pag. 113, 114, 115, édit. in-12, 1681. Voyez aussi Maimbourg, Histoire du Luthéranisme, tom. I, pag. 247, 248, et tom. II, pag. 159.
  4. Dans la remarque (H) de l’article Agésilaus II, tome I, pag. 258, et dans la remarque (C) de l’art. Aristide, tome II, pag. 344.
  5. Composée par Jean Antoine de Vera et Figueroa, comte de la Roca.
  6. Le comte de la Roca, Hist. de Charles-Quint, pag. 335, édit. de Bruxelles, 1663, in-12.
  7. Tom. II, pag. 158, à l’ann. 1552.
  8. C’est-à-dire, l’Apologie du prince d’Orange. Je n’ai point trouvé cela dans mon édition, qui est celle de 1581 ; non plus que ce qui est cité ci-dessus, remarque (O), citation (49). Voyez la remarque (T).