Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique, 1820, T05.djvu/81

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
71
CHARLES-QUINT.

tivi, pix feroci e con più audacia la commandano.

(L) Son histoire n’est qu’un mélange de bonheur et de malheur. ] Il avoua lui-même dans la harangue qu’il fit en se dépouillant de ses états, que les plus grandes prospérités qu’il avait jamais eues dans le monde, avaient été mêlées de tant d’adversités, qu’il pouvait dire n’avoir jamais eu aucun contentement[1]. On prétend que depuis son abdication il avait accoutumé de dire qu’un seul jour de sa solitude lui faisait goûter plus de plaisir que tous ses triomphes ne lui en avaient donné[2].

(M) On a dit des choses bien différentes sur les motifs de son abdication. ] Strada remarque que l’abdication de cet empereur est devenue un sujet de déclamation dans les écoles. Non ignoro eam rem vario tunc hominum sermone fuisse disceptatam : hodiéque declamatorum in scholis [3], politicorum in aulis, argumentum esse Caesirem abdicantem[4]. Quelques-uns ont dit que ne se sentant plus capable, à cause de ses maladies, de soutenir le poids de sa gloire, il prévint habilement la honte d’une plus grande décadence de réputation. On a dit aussi que le dépit de voir sa fortune inférieure à celle d’un aussi jeune prince que l’était Henri II ; sa fortune, dis-je, qui avait triomphé en tant de rencontres de celle de François Ier., l’obligea à quitter le monde. Je dirai dans les remarques suivantes, que le dépit de n’avoir pu devenir pape, et l’envie de servir Dieu selon le rit des protestans, ont passé pour la cause de sa retraite. Mais tout le monde n’a point envisagé d’un esprit critique cette grande action. Il y a eu des gens qui ont dit qu’un désir sincère de méditer sur le néant de ce monde, et sur les biens solides du paradis, le porta à chercher une solitude, afin d’expier par des exercices de pénitence les maux qu’il avait causés à la chrétienté, et pour se préparer de bonne heure et utilement à la mort, par une entière application à l’affaire du salut. Voyez dans Strada[5] la plupart de toutes ces choses, et plusieurs autres noblement représentées.

(N) ..…. Et sur les occupations de sa solitude. ] Il la choisit dans le monastère de Saint-Just[* 1], situé sur les frontières de Castille et de Portugal, proche de Placentia. Les religieux de ce monastère s’appellent hiéronymites. Il fit bâtir une petite maison joignant ce couvent, composée de six ou sept chambres, et s’y enferma au mois de février 1557. Il ne retint auprès de lui qu’une douzaine de domestiques et un cheval. Il ne s’occupait pas tellement aux exercices de dévotion, qu’il ne s’amusât à bien d’autres choses ; à la promenade sur son cheval ; à la culture de son jardin, à faire des horloges, et à des expériences de mécanique avec un fameux ingénieur[6]. Quelques jours avant sa mort, il fit célébrer ses funérailles et y assista en personne[7]. Quelques-uns ont dit qu’il tâcha d’accorder ensemble plusieurs horloges, avec une si grande justesse qu’elles sonnassent l’heure au même moment ; et que ce dessein n’était pas aussi difficile à exécuter que l’accord des religions qu’il se mit en tête du temps de l’Interim. Il n’avait pas si absolument renoncé au monde, qu’il ne s’informât des nouvelles de la guerre, et qu’il n’en dit son sentiment. Témoin ce qu’on veut qu’il ait dit et fait, après avoir su que son fils victorieux à Saint-Quentin n’avait point su profiter de ses avantages. Voici de quelle manière on le raconte : « Encor tout religieux, demi-saint qu’il étoit, il ne se put engarder (ce disoit-on lors, que la commune voix en couroit partout) que quand le roi son fils eut gagné la bataille de Saint-Quentin, de demander aussitôt que le

  1. (*) Justus, nom de saint, fait en français Just monosyllabe. Rem. crit.
  1. Mémoires de Beauvais-Nangis, pag. 120.
  2. Camérarius, Méditat. histor., vol. I, liv. III, chap. V.
  3. Cela me fait souvenir des paroles de Juvénal, sat. I, vs. 15, qui témoignent que les écoliers de son temps déclamaient sur l’abdication de Sylla.

    Et nos ergò manum ferulæ subduximus, et nos
    Consilium dedimus Sullæ privatus ut altum
    Dormiret ......................

  4. Strada, de Bello belg., lib. I, dec. I, pag. 16.
  5. Idem, ibidem.
  6. Strada, là même, pag. 13, 14, le nomme Jannellus Turrianus, et en conte des choses très-singulières.
  7. Ex Stradâ, lib. I, dec. I, pag. 14.