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CHARLES-QUINT.

à la tête de deux grandes armées faire reculer Soliman, et fuir Barberousse, il ne respirait plus que la guerre. Les flatteurs, qui perdent l’esprit des princes les plus sages par leurs louanges excessives, ne lui promettaient pas moins que l’empire de toute l’Europe : les poëtes et les panégyristes l’en assuraient effrontément, et les devins et les astrologues, qui ne sont pas moins hardis menteurs, avaient tellement répandu cette croyance par leurs prédictions, qu’ils avaient fait impression sur les esprits faibles [1]. Ce fut en ce même temps que l’empereur, enflé des victoires qu’il venait de remporter, et de celles qu’il tenait déjà pour certaines, dit à Paul Jove : Faites bonne provision de papier et d’encre, je vous ai taillé bien de la besogne [2]. Mais jamais on ne vit la providence de Dieu mortifier plus visiblement la présomption de la créature. Charles-Quint, à la tête de dix mille chevaux, et de plus de quarante mille hommes d’infanterie, soutenu d’une bonne flotte commandée par le fameux André Doria, fondit sur la Provence ; et fit entrer en même temps une autre armée de trente mille hommes dans la Picardie [3]. Ce fut l’enfantement de la montagne,

Parturiunt montes, nascetur ridiculus mus [4].


L’armée de Provence échoua devant Marseille, et fut réduite en un état pitoyable sans avoir livré combat. Celle de Picardie échoua devant Péronne [5].

(F) ... On n’eut pas sujet en France d’être content des ambassadeurs... qui assistèrent à cet acte. ] L’évêque de Mâcon, qui était alors à Rome en qualité d’ambassadeur de François Ier., et le sieur de Velli qui faisait la même fonction auprès de sa majesté impériale, furent présens à la harangue. Le premier ne put répondre que peu de chose à cause qu’il n’entendait pas l’espagnol ; et ni l’un ni l’autre n’eurent le temps de parler beaucoup. Le pis est qu’ils ne rendirent pas à leur maître un fidèle compte de tout ce que Charles-Quint avait proposé. Ils en supprimèrent l’offre du duel, les louanges qu’il avait données à ses soldats, et le mépris qu’il témoigna pour ceux de France. Ils supprimèrent tout cela à la prière du pape, et afin de n’éloigner pas le traité de paix en aigrissant l’esprit de leur maître [6]. Brantôme est plaisant, lorsqu’il décrit les postures qu’un ambassadeur homme d’épée avait faites pendant la harangue, et celles que fit le sieur de Velli homme de robe [7].

(G) Bien des gens l’ont accusé d’avoir fait une grande faute, lorsqu’il se livra à la bonne foi de François Ier. ] La ville de Gand se souleva l’an 1539, et offrit de se donner à la France. Le roi, non-seulement n’accepta point de telles offres, mais aussi il en avertit l’empereur, qui ne trouvant point de meilleur remède à un mal dont les suites étaient à craindre, que d’y accourir en personne, demanda passage par la France, toute autre voie lui paraissant longue et périlleuse. Il obtint ce qu’il demandait, et reçut des honneurs extraordinaires par tout le royaume, et à la cour principalement. Cette conduite de François Ier. fut sans doute fort belle et fort généreuse : mais c’est une grande illusion que de lui donner des louanges de ce qu’il n’attenta point à la liberté de l’empereur. Est-on louable quand on ne commet pas une insigne perfidie ?

(H) ...... Il faut être bien satirique pour appeler cela une faute. ] La plupart de ceux qui ont blâmé Charles-Quint de la confiance qu’il eut en la générosité de François Ier. ne songeaient point à médire de cet empereur, mais à donner une idée affreuse de ce roi ; car si l’on choque les règles de la prudence en se fiant à la parole de François Ier., c’est un signe qu’il est très-probable qu’il fera une action de lâcheté et de trahison dès qu’il le pourra. J’avoue que quelques auteurs se fondent sur les fourberies continuelles qu’ils imputent à Charles-Quint à l’égard du roi de France, et voici comment ils raisonnent : cet

  1. Mézerai, Abrégé chronol., tom. IV, pag. 591.
  2. Voyez Brantôme, Discours sur Catherine de Médicis, au commencement.
  3. Mézerai, Abrégé chronol., tom. IV, pag. 595.
  4. Horat., de Arte poët., vs. 139.
  5. Mezerai, Abrégé chronol., tom. IV, pag. 595, 599.
  6. Mémoires de Guillaume du Bellai, pag. 519, 520. Brantôme, Hommes illustres, tom. I, pag. m. 246.
  7. Là même.