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CHARLES-QUINT.

tre autres conseils il lui donna celui-ci, « de caler la voile quand la tempête est trop forte, de ne s’opposer point à la violence du destin irrité, d’esquiver avec adresse les coups qu’on ne peut soutenir de droit fil ; de les laisser passer ; de se jeter à quartier, et d’observer l’occasion de quelque favorable révolution, et d’une meilleure aventure [a]. » Il pratiqua ce conseil à la paix de Passau, qui eût été honteuse à l’empire, si la nécessité ne l’eût plutôt faite que l’inclination de l’empereur. Il le pratiqua à la paix de Soissons, où la disette d’argent interrompit la prospérité de ses armes, et lui-même fut contraint de s’offrir en otage aux Allemands qui, sans cela, faisaient dessein de s’en saisir [b]. Lui et son fils se croyaient capables de se bien servir des occasions ; car c’était un de leurs mots, Yo y el tiempos para dos otros ; Moi et le temps à deux autres [c]. L’auteur que je cite [d] raconte une chose qui témoigne également la curiosité de cet empereur pour l’astronomie, et son intrépidité. La magnificence avec laquelle les Fuggers le reçurent dans leur maison à Ausbourg ne doit pas être oubliée (FF).

  1. Silhon, ministre d’état, tom. I, liv. III, chap. VI, pag. m. 361.
  2. Là même.
  3. Là même.
  4. Voyez Melchior Adam, dans la Vie de Philippus Apianus, à la page 349 du Vitæ Germanorum philosophorum.

(A) Il aurait pu subjuguer toute l’Europe, sila valeur de François Ier. n’y eut apporté des obstacles. ] Il fut presque le seul qui s’opposa au torrent ; et si l’on examine bien l’histoire, on trouvera que l’empereur avait ordinairement plus d’alliés que François Ier. : et bien loin que l’Angleterre songeât à tenir la balance égale entre ces deux princes, elle se liguait très-souvent avec l’empereur. Ne sait-on pas qu’en 1544 Charles-Quint et Henri VIII avaient déjà fait entre eux le partage de la France, et que leur traité portait qu’ils joindraient leurs armées devant Paris, pour saccager cette grande ville [1] ? Ils travaillèrent à l’exécution de ce projet en même temps, puisque tandis que l’empereur fit une irruption en Champagne, les Anglais descendirent en Picardie. Voilà comment le roi de France fut payé de toutes les mauvaises brigues, dont il se servit en faveur des amours de Henri VIII pour Anne Bolein. Voilà comment l’esprit souple de Charles-Quint sut oublier les affronts faits à sa tante répudiée, et les promesses qu’il avait faites à la cour de Rome [2]. On prétend que ce fut une des choses que sa conscience lui reprocha dans la suite, et pour lesquelles il se retira du monde. Esse non pauca quæ Carol vellicarent animum pietatis omninò non surdum. Icisse fœdus cum Henrico Angliæ rege, à fidelium societate, diris pontificiis, in Caroli gratiam expuncto. In quo ille et injuriam, quam ab Henrico acceperat, repudiatâ Catharinâ uxore, Cæsaris materterâ ; et constantiam promissi, nunquàm se cum hæretico rege, nisi is pontificiæ dignitati satisfaceret, in gratiam rediturum ; nimis quàm impotenter posthabuerat atroci inexpiabilique in Gallum indignationi [3]. Ce que je vais dire est une chose plus notable qu’on ne pense. Charles-Quint avait plus de forces que Francois Ier., et néanmoins, par son adresse, ou parce qu’on ne trouvait pas autant d’inconvéniens à le craindre, qu’à craindre la supériorité des Français, il formait des ligues en sa faveur plus nombreuses ordinai-

  1. Mézerai, Abrégé chronol., tom. VI, pag. m. 628.
  2. L’empereur ne faisait point de scrupule d’avoir pour allié un prince noirci des foudres de l’Église, ennemi mortel du saint-siége, et qui avait traité si rigoureusement sa tante. Mézerai, Abrégé chonol., tom. IV, pag. 620.
  3. Famianus Strada, de Bello belg., dec. I, lib. I, pag. m. 19.