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DIAGORAS.

dans son commentaire sur Pindare [1].

(C) Un entêtement d’auteur........ l’entraîna dans l’impieté. ] Voici comment cette affaire se passa. Il se plaisait à faire des vers, et il avait composé un poëme qu’un poëte lui déroba. Il fit un procès au voleur : celui-ci jura qu’il n’avait rien dérobé, et un peu après il publia cet ouvrage, qui lui acquit une grande réputation. Diagoras considérant que celui qui lui avait fait du tort, non-seulement n’avait pas été puni de son vol et de son parjure, mais aussi qu’il en avait tiré de la gloire, conclut qu’il n’y avait point de providence, ni point de divinités, et fit des livres pour le prouver. C’est Hésychius Illustrius [2] qui fait ce conte. Il faut avouer que jamais auteur n’a été plus amoureux de ses ouvrages que Diagoras, et ne les a osé mettre à un tel prix. Quoi, parce que Diagoras a perdu la gloire qu’il attendait de un de ses livres, il faut que tout l’univers en souffre, il faut que la nature soit privée de son directeur et de son conservateur ? quelle compensation est-ce que cela ? Qu’on ne me dise pas que ma réflexion est forcée : je conviens qu’il y a du faux dans ce tour-là, et quelque chose d’outré ; mais je maintiens que Diagoras n’eût point raisonné comme il fit, s’il n’eût eu une estime très-particulière, et une affection très-intime pour le bien qu’il avait perdu. Je ne sais si jamais la prospérité d’un malhonnête homme à fait douter de la providence à ceux qui se ressentaient de cette prospérité, ou qui du moins n’en recevaient aucun mal. Nous verrons dans la remarque suivante d’autres causes de l’impiété de Diagoras.

(D) Il nia tout court qu’il y eût des dieux. ] C’est ainsi qu’on caractérise ses dogmes, quand on les veut distinguer de ceux de Protagoras, qui ne faisait que mettre en problème la religion. In hâc quæstione plerique, quod maximè verisimile est, et quo omnes duce naturâ vehimur, deos esse dixerunt : dubitare se Protagoras ; nullos esse omnino Diagoras Melius et Theodorus Cyrenaicus putaverunt [3]. Il y a donc bien de l’apparence que Valère Maxime s’est trompé, quand il a dit que Diagoras fut banni d’Athènes pour avoir dit qu’il ne savait point s’il y avait des dieux ; et que, s’il y en avait, il n’en connaissait pas la nature. Athenienses Diagoram philosophum pepulerunt, qua scribere ausus fuerat, primùm ignorare se an Dii essent : deindè, si sint, quales sint [4]. Cela convient parfaitement à Protagoras, et nullement à Diagoras : disons donc que Valère Maxime a pris l’un pour l’autre [5] : cela lui est assez ordinaire, M. Moréri le copie sans se défier de rien, et tombe dans plusieurs péchés d’omission, selon sa coutume. Voyez ci-dessous [6] le passage d’Athénagoras, et la remarque (G), où nous parlerons du titre d’un livre de Diagoras contre la divinité. Ce que Sextus Empiricus observe mérite notre attention. Diagoras avait été superstitieux autant que qui que ce fût, et il avait commencé dévotement ses poésies ; mais dès qu’il eut vu l’impunité de l’homme parjure qui lui avait fait du tort, il soutint qu’il n’y avait point de Dieu. Διαγόρας δὲ ὁ Μήλιος, διθυραμϐοποιὸς, ὥς ϕασι τὸ, πρῶτον γενόμενος, ὡς ἐίτις καὶ ἄλλος δεισιδαίμων· ὅς γε καὶ τῆς ποιήσεως ἑαυτοῦ κατήρξατο τὸν τρόπον τοῦτον· κατὰ δαίμονα καὶ τύχην πάντα τελεῖται· ἀδικηθεὶς δὲ ὑπό τινος ἐπιορκήσαντος καὶ μηδὲν ἕνεκα τούτου παθόντος, μεθηρμόσατο εἰς τὸ λέγειν μὴ εἶναι θεόν. Diagoras autem Melius, qui fuit, ut dicunt, primùm dithyrambicus, ut si quis alius superstitiosus, qui etiam poësim suam inchoavit hoc modo, A dæmone et fortunâ fiunt omnia. Injuriâ autem affectus ab aliquo qui pejeraverat, et proptereà nihil passus fuerat, eò deductus est ut diceret non esse Deum [7]. Le

  1. Benedictus, in Pindar., od. VII Olymp., pag. 123.
  2. In Διαγόρας.
  3. Cicer., de Naturâ Deorum, lib. I, init. Il dit dans le même livre : Quid, Diagoras, Atheos qui dictus est, posteàque Theodorus nouve apertè Deoram naturam sustulerunt ? Nam Abderites quidem Protagoras…. cùm in principio libri sui sic posuisset, de Diis neque ut sint neque ut non sint habeo dicere, Atheniensium jussu urbe atque agro est exterminatus. Voyez Lactant., de Irâ Dei, cap. IX.
  4. Valer. Maxim., lib. I, cap. I, sub fin.
  5. Voyez Leopardus, Emendat., lib. XI, cap. XI.
  6. Citation (35).
  7. Sex. Empiric. adversùs Mathematic., pag. 318.