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DIAGORAS.

racle de Delphes lui avait répondu qu’il eût à se marier avec la fille du plus honnête homme qui fût en Grèce. Aristomène ne se contenta pas de lui accorder sa fille, il la lui mena lui-même dans l’île de Rhodes. Damagétus eut de cette femme un fils qui eut nom Diagoras. Si Pausanias, qui me fournit tout ceci [1], a voulu dire que Diagoras l’athlète, père et grand-père de tant de victorieux athlètes, était fils de Damagétus et de la fille d’Aristomène, il n’avait pas bien consulté la chronologie. D’un côté, il dit [2] que la mort fut cause qu’Aristomène n’alla point voir Ardys et Phraorte, celui-là, roi de Lydie et fils de Gygès, celui-ci, roi des Mèdes : et en un autre lieu [3] il assure que Doriéus, fils de Diagoras l’athlète, vivait au temps de Conon, général des Athéniens. Or, le règne de cet Ardys s’étend depuis la 2e. année de la 26e. olympiade, jusqu’à la 3e. année de la 37e. [4]. Phraorte régna depuis la 2e. année de la 31e. olympiade, jusqu’à la dernière année de la 36e. ; et Conon a fleuri environ la 96e. olympiade : il est donc contre toutes les apparences que Doriéus, contemporain de ce Conon, soit fils d’un homme dont le père se maria lorsque Phraorte régnait. Voyez ci-dessous les remarques (D) et (F).

Notez que, quand on examine le grec de Pausanias un peu mieux que Romulus Amaséus son traducteur latin ne l’examina, on trouve qu’il nous apprend que Diagoras l’athlète était fils d’un Damagétus, dont le père, nommé Doriéus [5], était fils de Damagétus et de la fille d’Aristomène.

(B) Quelques auteurs rapportent qu’il fut transporté de tant de joie... qu’il en mourut. ] Je crois qu’on ne trouve cela que dans Aulu-Gelle, parmi les anciens, et que c’est lui qui, à cet égard, doit passer pour l’original d’une infinité d’auteurs plus modernes, qui ont cité cet exemple toutes les fois qu’ils ont parlé de la joie comme d’une chose capable de faire mourir. Quand je dis qu’Aulu-Gelle a été leur original, je n’entends pas qu’ils l’aient tous consulté : il est original immédiat à l’égard de quelques-uns, et par réduction à l’égard de tous les autres. Voici ce qu’il dit : il ne rapporte pas le fait aussi simplement que Pausanias ; il y ajoute sans doute quelques embellissemens de rhétorique. De Rhodio etiam Diagorâ celebrata historia est. Is Diagoras tres filios adolescentes habuit, unum pugilem, alterum pancratiasten, tertium luctatorem : eosque omnes vidit vincere coronarique eodem Olympiæ die : et quùm ibi eum tres adolescentes amplexi, coronis suis in caput patris positis, suaviarentur, quùmque populus gratulabundus flores undiquè in eum jaceret : ibi in stadio, inspectante populo, in osculis atque in manibus filiorum animam efflavit [6].

(C).... On a sujet de croire que cela est faux. ] Le fait eût été trop singulier pour avoir été omis par ceux qui ont amplement parlé de Diagoras : je ne saurais comprendre que Pausanias, qui parle de lui si tranquillement [7], et avec plusieurs digressions, eût pu passer sous silence une mort de cette nature, s’il en eût ouï parler comme d’un événement certain. Or sans doute il l’aurait appris sur ce pied-là, si la chose eût été certaine. Notez que non-seulement il nous explique la situation des statues qu’on érigea à Diagoras, à ses fils et à ses petits-fils, et qu’il touche plusieurs circonstances particulières qui concernent cette famille ; mais qu’il parle aussi de la glorieuse journée où cet homme se vit honoré de tant d’applaudissemens et de félicitations, sur la victoire de ses fils. Aurait-on pu dans cet endroit-là se dispenser de cette remarque, que Diagoras mourut de joie sous les fleurs qu’on jetait sur lui, et sous les bénédictions de l’assemblée ? Prenons donc le silence de Pausanias pour une preuve du mauvais discernement d’Aulu-Gelle. Cicéron et Plutarque nous en fournissent une autre preuve. Ils rap-

  1. Lib. IV, pag. 134.
  2. Ibidem.
  3. Lib. IV, p. 185.
  4. Voyez Calvisius.
  5. Il y a τοῦ Δωρέως dans les éditions de Pausanias, lib. IV ; mais selon la conjecture de Camérarius, il faut lire Δωρίεως comme dans le VIe. livre.
  6. Aulus Gell., Noct. Atticar. lib. III, cap. XV.
  7. Liv. VI, pag. 184.