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DES-BARREAUX.

à un autre conte que j’ai ouï dire. On prétend que Des-Barreaux, étant bien malade, fit venir les prêtres avec autant de diligence que s’il eût été vieux dévot. L’eau bénite, les chandelles bénites, les croix, les images et tout l’attirail de la dévotion romaine entouraient son lit. On lui demanda comment il se portait. Jugez, dit-il, du mauvais état de mon corps et de mon esprit par l’attirail qui n’environne. On a forgé apparemment ce petit conte sur le modèle de la réponse que fit Périclés, lorqu’il se laissa pendre au cou un remède de vieille femme [1]. Ce que je m’en vais rapporter est tiré des lettres de Guy Patin. « On me vient de dire que le débauché M. Des-Barreaux est mort ; belle âme devant Dieu, s’il y croyait ! Au mois il parlait bien comme un homme qui n’avait guère de foi pour les affaires de l’autre monde ; mais il a bien infecté de pauvres jeunes gens de son libertinage ; sa conversation était bien dangereuse et fort pestilente au public : on dit qu’il en avait quelque grain avant qu’aller en Italie ; mais à son retour il était achevé : un rieur disait que la trop fréquente conversation des moines l’avait gâté, non pas de ces anachorètes de la Thébaïde, ou de nos bonnes gens qui s’emploient à la dévotion et à l’étude, mais de ceux qui sont en si grand nombre dans les villes d’Italie, qui ne songent à rien moins qu’à Dieu. » Comme Patin écrivait cela le 28 de mai 1666 [2], on voit clairement qu’il se fondait sur un faux bruit touchant la mort de Des-Barreaux. Il n’en était pas encore désabusé le 18 de juin suivant, car voici ce qu’il écrivit dans une lettre datée de ce jour-là [3]. « On ne dit rien de M. Des-Barreaux, je ne sais où il est à présent. Il a vécu de la secte de Crémonin : point de soin de leur âme et guère de leur corps, si ce n’est trois pieds en terre. Il n’a pas laissé de corrompre les esprits de beaucoup de jeunes gens, qui se sont laissé infatuer à ce libertin. » Ce qu’il écrivit quatre ans après au sujet de Saint-Pavin montre qu’il avait connu la fausseté de sa nouvelle ; car il parle de Des-Barreaux comme d’un homme vivant, et qui faisait pénitence. Il est ici mort depuis peu de jours, dit-il [4], un grand serviteur de Dieu, nommé M. de Saint-Pavin, grand camarade de Des-Barreaux, qui est un autre fort illustre Israëlite, si credere fas est. Ce discours insinue assez clairement, ce me semble, que l’un et l’autre de ces deux fameux libertins voulurent passer pour convertis ; et ainsi l’événement eût été bientôt contraire aux prédictions de M. Despréaux, qui avait mis la conversion de Saint-Pavin au nombre des impossibilités morales.

Avant qu’un tel dessein n’entre dans la pensée,
On pourra voir la Seine à la Saint-Jean glacée,
Arnaud à Charenton devenir huguenot,
Saint-Sorlin janséniste, et Saint-Pavin Bigot [5].


Il ne faut poiut douter que Saint-Pavin ne fût encore dans la mauvaise route lorsque M. Despréaux parla de lui. D’où vient donc que le savant Hadrien Valois met la conversion de Saint-Pavin au jour de la mort de Théophile ? Il s’est trompé assurément. Voyez le Valésiana [6] ; vous y trouverez aussi quelque chose touchant notre Des-Barreaux : « J’ai vu, étant jeune, MM. Des-Barreaux et Bardouville grands camarades. Ils étaient des disciples de Théophile… Pour ce qui est de M. Des-Barreaux, après avoir bien fait parler de lui

  1. Ὁ γοῦν Θεόϕραςος ἐν τοῖς ἠθικοῖς διαπορήσας, εἰ πρὸς τὰς τύχας τρέπεται τὰ ἤθη, καὶ κινούμενα τοῖς τῶν σωμάτων πάθεσιν, ἐξίςαται τῆς ἀρετῆς, ἱςόρηκεν, ὅτι νοσῶν ὁ Περικλῆς ἐπισκοπουμένῳ τινὶ τῶν ϕίλων δείξειε περίαπτον ὑπὸ τῶν γυναικῶν τῷ τραχήλῳ περιηρτημένον, ὡς σϕόδρα κακῶς ἔχων, ὁπότε καὶ ταύτην ὑπομένοι τὴν ἀϐελτερίαν. Scriptum reliquit in Ethicis Theophrastus, ubi disputat an mutentur cum fortunâ mores, et corporis agitati affectibus deciscant à virtute, ægrum Periclem amico cuipiam, qui ipsum invisebat, amuletum ostendisse à mulieribus ex collo suo suspensum, quasi, quum eas etiam toleraret ineptias, graciter admodum ægrotaret. Plutarch. in Pericle, pag. 173, A.
  2. Cette Lettre est la CCCCVe. Voyez la page 203 du IIIe. tome.
  3. C’est la CCCCVIIe.
  4. Lettre DXIIe., datée de Paris, le 11 avril 1670. Voyez la page 510 du IIIe. tome.
  5. Despréaux, satire I, vs. 125.
  6. Pag. 32, édition de Hollande.