Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique, 1820, T05.djvu/492

Cette page n’a pas encore été corrigée
482
DENYS.

ventum eo affectus est modo præ exuberanti gaudio quo repentina hominem consternatio adfecerit. Nam prope erat ut vertigine correptus prolaberetur, et à sand mente conspiceretur alienus [1]. Que peut-on faire contre les passions machinales ? La raison aurait voulu qu’à la première nouvelle de la mort du grand Alexandre, ses plus ardens ennemis fissent de sérieuses réflexions sur l’inconstance des choses humaines, non sans admirer les qualités prodigieuses de ce prince. Mais notre Denys se trouva si peu en état de réfléchir gravement sur l’hommage que l’on doit en ces occasions à la destinée des héros, qu’il pensa perdre l’esprit, tant il était entraîné par ses premiers mouvemens, qui m’étaient rien moins que volontaires.

(C) Son mariage avec Amastris servit de beaucoup. ] Il l’épousa après la mort de sa première femme. Amastris était fille d’Oxathre, frère du dernier Darius ; elle était donc cousine germaine de Statira, fille de ce Darius, et femme d’Alexandre-le-Grand. Elles avaient été élevées ensemble, et s’aimaient beaucoup. Lorsque Alexandre se maria avec Statira, il voulut qu’Amastris fût mariée à l’un de ses plus intimes favoris : c’était Cratérus. Celui-ci vécut fort bien avec elle jusques à ce que ses intérêts, ou peut-être aussi son inclination après la mort d’Alexandre, lui inspirèrent l’envie de se marier avec Phila, fille d’Antipater. Alors Amastris, du consentement même de Cratérus, se maria avec Denys. Elle lui apporta de grands biens ; et comme il eut occasion d’acheter les meubles de Denys, tyran de Sicile, il se donna un grand éclat dans sa maison, et avec les richesses qu’il se vit en main, appuyé d’ailleurs sur l’affection de ses sujets, il fit des conquêtes, et il envoya un puissant secours à Antigonus pendant la guerre de Cypre [2]. En reconnaissance de ce secours, Antigonus maria Ptolomée son neveu, gouverneur de l’Hellespont, à une fille de Denys. Elle était du premier lit. Denys eut d’Amastris trois enfans, deux fils et une fille. La fille s’appelait comme sa mère ; l’un des fils s’appelait Cléarque ; l’autre Oxathre. Tout alla bien sous la tutelle et la régence d’Amastris ; car Antigonus se rendit le protecteur d’Héraclée et des pupilles, et lorsqu’il cessa de le faire, Lysimachus prit sa place, et épousa même la veuve de Denys. Il l’aima passionnément jusqu’à ce qu’il fût devenu amoureux d’Arsinoë, fille de Ptolomée Philadelphe. Ces nouvelles amours causèrent une rupture entre Lysimachus et Amastris, qui fut cause que cette dame commanda seule dans Héraclée jusqu’à la majorité de Cléarque, son fils aîné. Ce prince, et Oxathre son frère, furent si méchans, qu’ils firent périr leur mère sur mer pour de légères raisons. Εἰς ἔκθεσμον δὲ καὶ μιαρώτατον ἔργον ἐξέπεσον· τὴν γὰρ μητέρα μηδὲν περὶ αὐτοὺς μέγα πλημμελήσασαν, μηχανῇ δεινῇ καὶ κακουργίᾳ ἐπϐᾶσαν νηὸς θαλάσσῃ ἀποπνιγῆναι κατειργάσαντο. Ad nefarium et exsecrabile facinus sunt delapsi. Matrem enim quæ nihil in eos grande peccaverat cùm navi se commisisset, insigni commento et flagitio mari suffocandam curaverunt [3]. Lysimachus, qui régnait alors dans la Macédoine, sentit revivre ses premiers feux à l’ouïe d’un si énorme attentat, et résolut de le punir. Il dissimula son dessein, comme il savait faire plus qu’homme du monde, Κρύψαι τὸ βουλόμενον δεινότατος ἀνθρώπων γεγονέναι λέγεται. Occultare enim quæ vellet ingeniosissimus mortalium fuisse perhibetur [4] ; et ayant témoigné à Cléarque la même affection qu’auparavant, il fut reçu dans Héraclée comme un bon ami. Il fit mourir les deux princes dénaturés qui s’étaient défaits de leur mère, et s’empara de tous leurs biens, et rendit à ceux d’Héraclée leur liberté. Ils ne la gardèrent guère ; car Lysimachus étant retourné chez lui fit des descriptions si vives du bon état où l’habileté d’Amastris avait mis Héraclée et deux autres villes, qu’Arsinoë, sa femme,

  1. Phot., Biblioth., pag. 709, num. 224.
  2. ᾽Αντιγόνῳ τὴν Ἀσίαν κατέχοντι λαμπρῶς συμμαχήσας. Antigono Asiam tenenti magnificè suppetias tulit. J’aime mieux traduire ainsi, que comme il y a dans mon Photius, pag. 709, (c’est l’édition de Rouen, 1653,) Antigono etiam, jam magnificè Asiam tenenti, suppetias tulit.
  3. Phot., pag. 712.
  4. Là même.